Pouvez-vous vous présenter en quelques mots?
Je suis Meriem El Yajouri, de nationalité marocaine, titulaire d’un doctorat en astronomie de l’Observatoire de Paris; lauréate du prix de thèse 2018 de l’Union Astronomique Internationale (UAI), un prix d’excellence pour récompenser les meilleurs thèses des 9 divisions de l’UAI. Je suis également présidente de l’association SpaceBus Maroc, coordinatrice nationale du Bureau de la vulgarisation en astronomie (OAO-NOC) de l’Union Astronomique Internationale et j’occupe actuellement le poste de gérante de la société Titritland (1ère entreprise au Maroc qui délivre des produits et services en Astronomie).
Quel a été votre parcours pour devenir astronome?
Après un bac S, spécialité mathématiques, j’ai intégré les classes préparatoires MP de l’Université Internationale de Rabat (UIR) à l’issue desquelles j’ai choisi de poursuivre mes études en licence de physique. J’ai donc directement suivi les cours de la troisième année de licence L3 de la faculté des sciences de Rabat, Université Mohamed V au Maroc. Porteuse de cette licence et major de promotion, j’ai pu envoyer ma candidature aux différentes universités de la région parisienne dans l’objectif de préparer mes études en Master. Pendant ma première année en France, j’ai suivi les cours du master 1, parcours « Physique Fondamentale » de l’Université Pierre et Marie Curie (UPMC, Paris 6) / Sorbonne Universités, après quoi j’ai pu obtenir, avec mention bien, le grade du Master 2 recherche « Astronomie, Astrophysique et Ingénierie Spatiale (AAIS) », parcours Astrophysique, cohabilité par l’Observatoire de Paris, les Universités Paris 6, 7 et 11 et l’ENS Paris. Durant mon master, j’ai eu la chance d’effectuer un stage de trois mois au sein de l’équipe de Rosine Lallement au laboratoire GEPI à l’Observatoire de Paris. Au tout début j’étais décidée à ne faire qu’un stage, mais j’y suis finalement restée plus de trois ans pour y poursuivre ma thèse et c’est en grande partie grâce à Rosine. Son encadrement de qualité, son soutien moral et son ouverture d’esprit m’ont donné le courage d’aller jusqu’au bout. Ma thèse a été financée par la Région Île-de-France dans le cadre du programme 2015 du Domaine d’intérêt majeur en Astrophysique et Conditions d’Apparition de la vie (DIM-ACAV). J’ai soutenu ma thèse en novembre 2018 puis j’ai occupé un poste d’A.T.E.R (attachée temporaire d’enseignement et de recherche) au sein de la même équipe. En parallèle à mes travaux de recherche, j’ai une expérience dans l’enseignement : travaux dirigés (TDs) et travaux pratiques (TPs) en physique, en mécanique et en informatique. En tant qu’étudiante à l’Université PSL, j’ai occupé le poste de chargée de TDs/TPs pendant deux ans à l’Université Paris Diderot (Paris 7) et à l’IUT. Puis, j’ai effectué une mission de médiation scientifique en astrophysique au Palais de la Découverte à Paris pendant ma dernière année de thèse. En tant qu’assistante d’enseignement et de recherche (A.T.E.R) à l’Observatoire de Paris, j’ai eu l’occasion d’encadrer dix étudiants dans le cadre du diplôme universitaire « DU : Lumière sur l’Univers ». Après mon A.T.E.R, et grâce à l’obtention d’une bourse de visiteur scientifique, j’ai eu la chance de passer trois mois à l’Observatoire Européen Austral (ESO) au Chili dans le cadre d’un projet de collaboration avec Dr. Jonathan Smoker.
Qu’est ce qui vous a amené à étudier l’astronomie?
Enfant, j’ai réalisé que je voulais poursuivre dans un domaine pluridisciplinaire qui croise des techniques variées et le thème du ciel éveillait ma curiosité pour les sciences et a été très inspirant pour moi. Étudier l’astronomie est donc un peu un rêve d’enfance, mais mon intérêt pour l’astronomie s’est réellement concrétisé grâce à des chercheur.se.s que j’ai eu la chance de croiser tout au long de mon parcours et qui m’ont orientés dans mon choix de formation, je cite la rencontre avec Dr. Françoise Combes lors de sa conférence dans mon lycée à Rabat, les discussions avec Pr Samir Kadiri à l’Observatoire de Rabat et bien évidemment Pr. Zouhair Benkhaldoun, directeur de l’Observatoire d’Oukaimeden avec qui j’ai échangé la première fois dans le cadre de mon TIPE en classes préparatoires.
Avez-vous ressenti des difficultés durant votre parcours?
Comme tout.e étudiant.e expatrié.e, j’ai ressenti des difficultés durant mon parcours, surtout à mon arrivée en France : l’anxiété et la désorientation à cause du mal du pays, des démarches administratives lourdes, un système universitaire différent de celui de mon pays d’origine et le coût élevé de la vie à Paris. Petit à petit, j’ai fini par sortir de mon cocon, avoir un cercle d’ami.e.s, avoir mes propres repères, m’ouvrir à l’immersion culturelle, et apprendre à gérer mon budget. L’intégration dans le monde de la recherche en astronomie et dans le monde associatif m’ont également permis de m’adapter plus vite et de m’ouvrir plus à ce nouvel environnement où j’ai construit mes nouveaux repères. Au point où, lorsque je suis rentrée au Maroc après 7 ans en France, j’ai pu ressentir un choc culturel inverse !
Quel(s) conseil(s) donneriez-vous aux jeunes filles de votre pays qui souhaitent étudier l’astrophysique?
Comme les études sont longues, il faut beaucoup de détermination, de persévérance et de motivation, donc croyez en vous et en votre projet et ne renoncez pas après un premier échec (refus de stage, mauvaise note, …). Pour celles qui veulent s’expatrier pour leurs études, il est très important d’oser dépasser vos préjugés et faire preuve d’indulgence et d’ouverture d’esprit dans votre pays d’accueil, ce qui vous permettra de faire de très belles rencontres et de faire de votre parcours une expérience professionnelle et humaine très enrichissante. Après la thèse, je vous conseille de valoriser votre expertise (en d’autres termes, savoir vendre ses « soft skills« ) quel que soit votre domaine. Enfin, faites ce qui vous amuse le plus ! La passion est un facteur clé d’épanouissement.
Si vous avez quitté l’astrophysique, quel a été l’apport de vos études dans ce domaine pour votre carrière/vie?
Mes études en astrophysique m’ont beaucoup apporté sur tous les plans. Sur le plan technique, j’ai pu acquérir une grande expérience d’outils d’analyse statistique et informatique, à savoir la collecte, le traitement et l’analyse de données massifs à l’aide de logiciels comme Igor PRO et Python (expertise en data science, profil très demandé sur le marché de travail de nos jours). Mes travaux de recherche m’ont également aidé à développer et à affiner mes compétences en matière d’analyse et de méthodologie. Plus précisément, mon expérience en matière de rédaction d’articles m’a permis d’acquérir des qualités analytiques et des capacités d’autonomie: qualités très recherchées par les entreprises et les cabinets de conseil qui ouvrent de plus en plus leur recrutement aux docteurs. Mais l’apport de l’astrophysique ne se limite pas aux seules compétences techniques : l’enseignement et la médiation scientifique qui sont basés sur le contact direct avec les étudiants, les scolaires et le grand public, ont contribué à enrichir mon expérience en astrophysique moyennant quoi j’ai pu acquérir plusieurs « soft skills » comme l’adaptabilité, la créativité et l’esprit d’équipe.
Pensez-vous qu’il y a des aspects/défis spécifiques qui concernent les femmes africaines en astrophysique?
Je pense qu’un des défis qui concernent les femmes en général est la gestion de leur quotidien entre contraintes familiales et obligations professionnelles, s’ajoute à cela l’auto-censure, en particulier dans un domaine comme l’astrophysique. Avoir un poste permanent en astrophysique nécessite non seulement l’obtention d’un doctorat (8 ans d’études après le bac, voire plus), mais aussi une expérience à l’étranger ou des post docs dans les quatre coins du monde. Un défi pour le recrutement des jeunes chercheuses car très souvent c’est un moment qui coïncide avec l’âge où la jeune chercheuse aspire à une stabilité familiale et affective ou avec des responsabilités de mère de famille.
Quels sont vos actions/projets en cours concernant l’astronomie?
Je suis co-fondatrice de la société Titritland, la première entreprise au Maroc qui offre des expériences ludiques et immersives à travers l’astronomie. De même, je souhaite créer en France une entreprise liée au développement de l’astro-tourisme et qui s’adresse à un public large. Mon projet en France est encore dans une phase d’étude. Je souhaite dans un premier temps approfondir mon étude en visitant les observatoires privés et publics de France et les endroits de ciel étoilé, afin de développer mon concept et d’étendre mon réseau de coopérations professionnelles. Je compte profiter de ce voyage pour ouvrir une chaîne Youtube dédiée aux observatoires astronomiques de France, dont je produirai des vidéos. J’ai également créé une auto-entreprise de droit français, Astrovel, qui donne une base juridique au commencement de mon projet.
Parallèlement à mon entreprise, je suis impliquée dans la promotion des sciences auprès du grand public par le biais de plusieurs associations et initiatives :
– Je suis présidente de l’association Spacebus Maroc, une opération de médiation scientifique itinérante. En 2016, un camion conçu pour l’occasion a traversé 17 villages et villes marocains. Environ 15 000 personnes de toutes les catégories sociales ont été initiées à la science à travers l’astronomie tout au long de l’itinéraire de 3000 km.
– J’ai été élue coordinatrice nationale du Comité National pour la vulgarisation (National Outreach Coordinator-NOC), du Bureau de l’Astronomie pour le grand public (OAO) de l’Union Astronomique Internationale (UAI).
– Je suis membre du comité de coordination de l’initiative « On the moon again », un événement international pour observer la Lune et célébrer les 50 ans de l’alunissage du 20 Juillet 1969 (www.onthemoonagain.org/).
– Je suis également vice-présidente en charge de la coopération internationale de la Fondation Atlas Dark Sky à Marrakech pour préserver le ciel étoilé au Maroc https://atlasdarksky.com/.
– Depuis 2017, je suis membre du comité de pilotage de l’initiative africaine pour les sciences planétaires : Africa Initiative for Planetary and Space Science (https://africapss.org/)
– Je suis membre du conseil d’administration (CA) de la Fondation Attarik pour les météorites et les sciences planétaires, chargée de partenariat et de levée de fonds.
Aujourd’hui, si mon parcours me confère une légitimité naturelle au sein de grands laboratoires de recherche, je suis également très intéressée par des challenges plus entrepreneuriaux dans les secteurs de l’éducation, du développement, de l’éco-tourisme. Je n’ai donc pas quitté l’astrophysique, mais je souhaiterais pouvoir oeuvrer pour que l’astronomie, soit un moyen de communication, d’enrichissement culturel et de transfert de savoirs certes, mais aussi un moyen de développement éco-touristique et de création d’une culture d’emploi inclusive auprès des jeunes. Cette vision peut se concrétiser en positionnant les différents endroits de ciel étoilé (dark skies) comme une destination astro-touristique et comme une destination pour héberger de grands projets d’Observatoires internationaux. D’une part, l’astro-tourisme, segment peu connu du tourisme durable, et qui utilise comme unique ressource le ciel sombre, consiste à valoriser des destinations pour y permettre l’observation de phénomènes astronomiques. Il peut s’agir d’aller observer les étoiles sous un ciel très sombre, de voyager pour voir les aurores boréales ou une éclipse, ou même d’assister au lancement d’une fusée. Plusieurs gouvernements ont reconnu les retombées de l’astro-tourisme, et ont adopté des lois pour économiser l’énergie et limiter l’éclairage extérieur. Au Maroc, la fondation Atlas Dark Sky dont je fais partie, a pour but principal d’accompagner les projets de création et de préservation des aires protégées au Maroc, vis-à-vis de la pollution lumineuse et de promouvoir les thématiques scientifiques dans le domaine de la préservation du patrimoine y afférent (Astronomie, Faune, Flore, Santé, Économie d’énergie, Écologie, Tourisme…). Cela signifie que ces réserves de ciel étoilé peuvent être mises en valeur pour créer des emplois et des opportunités non seulement pour les habitants locaux de ces régions qui sont souvent isolées mais aussi pour toute la population d’un pays.
D’autre part, concernant l’hébergement de grands projets d’observatoires internationaux, j’illustrerai mes propos avec l’exemple du Chili, où j’ai eu l’occasion de séjourner pendant trois mois, comme visiteur scientifique. En effet, on ne peut que constater le développement qu’a connu le pays à travers l’astronomie et tout particulièrement avec les projets de l’ESO (European Southern Observatory), qui a pour mission la construction et l’exploitation des grands télescopes pour l’Union Européenne. Cela a aidé à l’émergence d’une discipline de recherche scientifique, comme cela a été le cas pour des pays ayant bénéficié de telles installations ( ex : Afrique du Sud. . . ). En plus de la circulation permanente au Chili de scientifiques de renom et l’établissement de liens privilégiés avec la communauté d’enseignants chercheur.es chilien.nes, cette mobilité internationale a permis la création de centaines d’emplois pour la construction, l’opération et la maintenance des différents télescopes.