Pouvez-vous vous présenter en quelques mots?
Je m’appelle Djazia Ladjal, je suis une analyste principale de données dans une startup d’éducation et de technologie à Sydney (Australie). Je suis originaire d’Alger, Algérie. Avant de me convertir au domaine d’analyse de données j’étais une astronome professionnelle.
Quel a été votre parcours pour devenir astronome?
J’ai fait spécialité sciences exactes au lycée de l’Emir Abdel Kader à Alger. Ensuite j’ai poursuivi un diplôme d’études supérieures en physique à l‘Université des Sciences et de la Technologie Houari Boumediene (USTHB). Par la suite, je suis partie en France pour poursuivre un diplôme d’études approfondies (DEA) en Astrophysique à l’université Louis Pasteur de Strasbourg où j’ai fait un mémoire sur les étoiles géantes et supergéantes rouges. A la fin de mon DEA j’ai décroché une bourse d’étude Belge pour faire un doctorat en Astrophysique à l’université KU Leuven. Pendant mon doctorat j’ai travaillé à la préparation scientifique de l’un des projets de recherche du satellite européen Herschel. Le sujet du projet a été l’investigation de la perte de masse des étoiles évoluées.
Qu’est ce qui vous a amené à étudier l’astronomie?
J’ai toujours été fasciné par l’espace depuis ma tendre enfance. Mon père avait un abonnement au magazine français Science et Avenir et tous les mois j’avais hâte de lire les articles de physique et d’astronomie. J’avais pour habitude de découper les articles d’astronomie et de les collectionner dans un album.
Avez-vous ressenti des difficultés durant votre parcours?
J’en ai plein d’ histoires à raconter! De mon temps il y avait beaucoup de pression de toutes parts (culturelle, économique et situation sécuritaire) qui faisait qu’une carrière en Astronomie n’était pas le meilleur des choix ou même envisageable. Une des histoires les plus marquantes est qu’avec un groupe d’amis on a créé le premier club de physique et d’astronomie à l’USTHB. On s’est rapproché du CRAAG qui est le Centre de Recherche en Astronomie, Astrophysique et Geo-Physique d’Alger pour organiser des nuitées d’observation pour les membres du club. Il fallait voir quand on a annoncé la nouvelle à nos parents! Non seulement on était des jeunes filles qui voulaient aller passer la nuit dehors, en plus nos groupes étaient mixtes. C’était dur de les persuader de nous laisser le faire et malheureusement ça n’a pas marché pour tout le monde. Il y a eu du progrès depuis mais il reste quand même beaucoup à faire. Surtout du point de vue de la valorisation de la profession.
Quel(s) conseil(s) donneriez-vous aux jeunes filles de votre pays qui souhaitent étudier l’astrophysique?
J’aimerais m’adresser spécialement aux jeunes filles qui font face tous les jours à des difficultés économiques ou sociales pour accéder à des études supérieures et qui pensent que ce n’est pas possible de faire de l’astronomie ou que c’est trop dur. Avec toutes les difficultés auxquelles vous faites face tous les jours, il n’y a absolument rien dont vous êtes incapable. Surtout ne doutez pas de vos capacités! Et puis, il y a mille et une façons de faire de l’astronomie et ce n’est pas forcément avec un télescope. En astronomie, on a besoin de pas mal de spécialistes. On a besoin, entre autres, de chimistes, d’ingénieurs, de techniciens, d’informaticiens et même d’artistes. Aussi n’hésitez pas à entrer en contact avec des clubs d’astronomie ou des chercheurs même en dehors du pays. La communauté astronomique est très amicale et la plupart d’entre nous seront ravis de donner des conseils.
Si vous avez quitté l’astrophysique, quel a été l’apport de vos études dans ce domaine pour votre carrière/vie?
Être astronome c’est bien plus qu’un job. C’est une façon de voir le monde, une façon de penser, de remettre tout en question, de chercher des réponses sans relâche. Ce genre de chose ne s’apprend pas n’importe où et ça a beaucoup de valeur dans le monde de l’emploi. Pour moi c’est clair, être astronome c’est ce qui me distingue des autres analystes. On est rigoureux, on pratique la méthode scientifique mais aussi on touche à tout. On code dans des langages informatiques différents. On a de bonnes bases en statistiques et en probabilités, on sait construire des modèles complexes de prédictions, etc. En plus de nos connaissances techniques poussées, on a pas mal de qualité qui nous distingue des autres candidats. Souvent ce qui fait la différence c’est ce qu’on appelle les soft skills. Pas mal de ce qu’ on apprend en astronomie nous permet d’améliorer nos soft skills. Par exemple :
- L’esprit de collaboration par l’expérience de travailler dans un groupe de recherche.
- Le sens de la communication qu’on développe à travers les conférences scientifiques, la présentation de notre recherche et les publications.
- La capacité d’expliquer des problèmes complexes de façon simple.
- Savoir gérer son temps et pouvoir faire différentes tâches tout en tenant compte des dates limites.
- Une sensibilité culturelle que l’on gagne à travers nos relations avec des collègues de différents pays et milieux, etc.
Toutes ces compétences font partie des compétences d’employabilité les plus importantes au XXIème siècle.
Pensez-vous qu’il y a des aspects/défis spécifiques qui concernent les femmes africaines en astrophysique?
Bien sûr qu’il y a pas mal de défis et de difficultés. Malheureusement ce n’est pas seulement spécifique à l’astronomie. C’est un problème beaucoup plus complexe. Par exemple, en Algérie, si on regarde la présence des femmes à l’université dans les filières scientifiques et techniques, elles sont partout ! En sciences exactes, en génie mécanique, informatique, électronique … partout. On trouve autant de femmes que d’hommes dans ses filières ou même plus. Mais après les études, qu’est ce qui se passe ? Rien. Il ne se passe rien. Il n’y a pas beaucoup de débouchés. Et comme avec toute situation de crise ou de pénurie, les femmes sont souvent les plus perdantes. Je suis sûre que c’est aussi le cas dans pas mal d’autres pays africains.
Quels sont vos actions/projets en cours concernant l’astronomie?
Pas grand-chose en ce moment. Comme j’ai changé de carrière relativement récemment, je suis encore occupée à m’établir dans le domaine d’analyse de données. Mais je compte me remettre à faire de l’astronomie petit à petit. Il y a certaines nouvelles techniques d’analyse qui sont très populaires dans le milieu du big data qui pourraient être très efficaces en astronomie. J’ai hâte de faire passer certaines de mes nouvelles connaissances vers l’astronomie.