LE MAGAZINE DES SCIENCES DE L’UNIVERS EN AFRIQUE

Le télescope spatial Hubble a fait une nouvelle découverte extraordinaire en détectant la lumière d’une étoile qui a existé au cours du premier milliard d’années après la naissance de l’Univers lors du Big Bang. Il s’agit de l’étoile la plus éloignée jamais observée à ce jour.

Un détail de la vue ci-dessus montre « l’arc du Soleil levant », contenant les 6 images de deux amas d’étoiles. Les deux plus brillantes images sont désignées par une flèche. L’image de l’étoile Earendel est unique. La ligne en pointillé indique la région d’amplification maximale de la lumière par effet de lentille gravitationnelle selon les modèles employés dans cette étude. L’étoile Earendel est observable individuellement (à une magnitude de 27) précisément parce qu’elle se trouve, par hasard, sur cette ligne. [SCIENCE: NASA, ESA, Brian Welch (JHU), Dan Coe (STScI), IMAGE PROCESSING: NASA, ESA, Alyssa Pagan (STScI)]

Tout commence avec un amas très massif de galaxies, nommé WHL0137-08, situé à une distance caractérisée par un décalage cosmologique vers le rouge z = 0,566. Derrière cet amas de galaxies se trouve une autre galaxie, beaucoup plus éloignée, à z = 6,2, soit une distance de 12 milliards d’années-lumière. On ne la voit pas directement, car l’amas WHL0137-08 est assez épais pour la masquer. En revanche, par effet de lentille gravitationnelle, des rayons lumineux en provenance de la lointaine galaxie, qui en l’absence de WHL0137-08 seraient à peine perceptibles, apparaissent comme un arc de lumière d’une longueur apparente de 15 secondes d’arc. Cet arc, catalogué sous le nom WHL0137-zD1 et surnommé « l’arc du Soleil levant », est la somme de plusieurs images de la très lointaine galaxie, chacune de ces images étant étirée par les effets relativistes de propagation de la lumière dans le champ de gravitation de l’amas WHL0137-08.

Une équipe internationale conduite par Brian Welch, de l’université Johns-Hopkins (Baltimore, É.-U.), s’est fondée sur plusieurs relevés de l’arc du Soleil levant par le télescope spatial Hubble pour déceler, à l’aide de modèles de la lentille gravitationnelle, des sous-structures de la lointaine galaxie à z = 6,2 [1]. Les auteurs de cette étude ont utilisé quatre modèles de la lentille gravitationnelle, fondés sur des hypothèses différentes concernant les propriétés de l’amas de galaxies WHL0137-08 qui sert de lentille, et dont la forme est relativement complexe. Selon les modèles, toutes les régions de la galaxie lointaine ne sont pas également amplifiées en luminosité. Mais ils permettent de comprendre que l’arc comporte en particulier trois images de deux amas d’étoiles (soit 6 régions en surbrillance). Une autre région en surbrillance n’apparaît qu’une fois, et elle se situe dans une région particulièrement favorable à l’amplification en intensité lumineuse par la lentille gravitationnelle. L’analyse montre que c’est un objet de taille inférieure à un parsec, ce n’est donc pas un amas d’étoiles.

Il s’agit soit d’une étoile, soit d’un système d’étoiles multiples. C’en est une parmi les milliards d’étoiles de la galaxie lointaine, qui se trouve par le jeu du hasard dans de très bonnes conditions pour être vue depuis la Terre grâce à la lentille gravitationnelle formée par l’amas de

galaxies plus proche WHL0137-08. L’étoile (simple ou multiple) a été baptisée WHL0137-LS, mais aussi « Earendel », ce qui signifie « étoile du matin » en vieil anglais. Cela va bien avec le nom de « l’arc du Soleil levant » où elle a été découverte ! La magnitude absolue d’Earendel est estimée entre –8 et –12 ; elle brille comme des centaines de milliers de Soleils [2]. Les modèles d’évolution stellaire impliquent que sa masse, s’il s’agit d’une seule étoile, est comprise entre 40 et 500 masses solaires. Ce serait une étoile de type O, ou O-B ou A, et sa température de surface serait de l’ordre de 8 000 K (pour une masse de 40 masses solaires) et de 60 000 K pour une masse supérieure à 100 masses solaires. Ces paramètres sont conformes à l’idée que les étoiles de la première génération étaient très massives, très chaudes (étoiles dites de population III). Elles avaient aussi la vie brève, en comparaison de l’âge de leur galaxie, réduite à quelques dizaines de millions d’années.

L’étoile est-elle seule ou dans un système multiple ? Selon les auteurs, il y a peu de chances qu’elle soit seule, mais une des étoiles du système domine probablement les autres en masse et en luminosité. Il est donc probable que ce que nous voyons d’Earendel est surtout le fait d’une étoile très brillante, entourée d’un petit nombre d’étoiles beaucoup moins lumineuses.

Des amas d’étoiles dans une galaxie avaient déjà été identifiés (par la même méthode de lentille gravitationnelle) dans une autre galaxie, à une distance z = 6,14.

Avec un décalage cosmologique z = 6,2, Earendel est la plus lointaine étoile jamais observée. Le modèle standard de la cosmologie nous indique qu’à z = 6,2, l’étoile nous apparaît telle qu’elle était 900 millions d’années après le Big Bang, quand l’Univers avait 7 % de son âge actuel. L’analyse de la lumière infrarouge d’Earendel est un bon objectif pour des observations par le JWST afin de mieux caractériser cette étoile très ancienne.

Fabrice Mottez, Observatoire de Paris-PSL

 

Notes

  1. Welch et al., « A highly magnified star at redshift 6.2 », Nature 603, 2022.
  2. Le Soleil a une magnitude absolue de +4,8, et chaque écart de –5 magnitudes correspond à une multiplication de la luminosité par 100.
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