LE MAGAZINE DES SCIENCES DE L’UNIVERS EN AFRIQUE

Dans cette article nous présentons la sociologie d’un réseau scientifique GIRGEA (Groupe International de Recherche en Géophysique Europe Afrique) ayant permis de développer la météorologie de l’Espace en Afrique dans le cadre international. Dans ce réseau l’enseignement se fait principalement en langue française.

 

Conférence scientifique pour les lycéens en 2014 en RDC

Introduction

La météorologie de l’Espace est une discipline nouvelle définie ainsi :

« La météorologie de l’espace est la discipline qui traite des aspects phénoménologiques et de l’état physique des environnements spatiaux naturels. Au moyen de l’observation, de la surveillance, de l’analyse des données et de la modélisation, elle a plusieurs objectifs : d’une part, comprendre et prévoir l’état du Soleil, du milieu interplanétaire, des environnements planétaires et en premier lieu celui de la Terre, ainsi que les perturbations qui les affectent, qu’elles soient d’origine solaire ou non ; d’autre part, analyser en temps réel ou prévoir d’éventuels effets sur les systèmes biologiques et technologiques (Lilensten and Belehaki, 2009). »

Cette discipline a été initiée dans les années 1990 et elle est multidisciplinaire. Nous nous intéressons plus particulièrement à l’étude des phénomènes agissant dans le système Soleil-Terre et les effets de ces phénomènes sur les systèmes technologiques avec la perspective lointaine de prévoir ces effets en temps réel.

Dès 1991, dans le cadre du projet international UNBSSI (United Nations Basic Space Science Initiative, www.unoosa.org ) des études concernant les sciences de l’Espace ont débuté.

Trois projets scientifiques expérimentaux se sont succédés :

– AIEE : Année Internationale de l’Electrojet Equatorial (1992-1994),

– AHI :  Année Héliophysique Internationale (2007-2009)

– ISWI : International Space Weather Initiative (2010-2012), http://www.iswi-secretariat.org.

A la fin du projet AIEE un réseau de recherche GIRGEA (www.girgea.org) a été mis en place pour poursuivre les études débutées dans le cadre de l’AIEE, études qui ont essentiellement concerné des pays se localisant autour de l’équateur géomagnétique. Les instruments installés en Afrique sont décrits par Amory-Mazaudier et al. (1993).

C’est en 2005 après la publication d’un article de revue des principaux résultats obtenus lors de l’AIEE (Amory-Mazaudier et al., 2005) que le GIRGEA a été contacté pour participer au projet AHI fêtant les 50 ans de l’Année Géophysique Internationale (1957).

 

Le premier objectif scientifique de l’AHI était de faire connaitre les nouvelles découvertes sur le soleil faites durant la dernière décennie (1995-2005), et rendre disponibles, pour les différentes communautés scientifiques, les données acquises sur le soleil par des satellites tels que SOHO. Dans le cadre de ce deuxième projet, AHI, nous avions à charge le développement du réseau de stations GPS en Afrique. L’AHI a été un premier pas vers le développement de la météorologie de l’Espace.

 

Finalement, c’est le projet ISWI (2010-2012) qui a permis de pleinement développer la météorologie de l’espace en Afrique, car l’utilisation des GPS durant l’AHI, avait mis en évidence les perturbations des récepteurs GPS dues principalement à l’ionosphère.

Dans cet article nous aborderons

  • La méthode de travail développée dans le réseau scientifique GIRGEA qui a servi de modèle au niveau international pour le réseau scientifique ISWI, dans lequel le réseau GIRGEA est inclu.
  • Physique : Le transfert des connaissances vers l’Afrique
  • Les connections essentielles du GIRGEA avec les organisations internationales

 

Méthode de Travail

 

Avant l’AIEE, différentes études de l’ionosphère équatoriale avaient été menées par des chercheurs français de 1965 à 1985, mais aucune équipe locale pour l’étude de l’ionosphère n’avait été mise en place, et donc pour le projet AIEE, Il fallait tout commencer. Une étude sur l’état des lieux avant l’AIEE et des solutions pour pérenniser la recherche sur l’ionosphère en Afrique francophone a été décrite par Amory-Mazaudier (2002).

 

Nous rappellerons ici certains points importants :

  • Construire et définir le projet avec une équipe locale de recherche existante souhaitant développer de nouvelles études
    • Mission exploratoire avant le début du projet pour trouver une équipe locale intéressée
    • Définir un projet local dans le cadre de grands projets internationaux (AIEE, AHI, ISWI) afin de développer des collaborations internationales
  • Sélectionner des étudiants qui feront des thèses
    • Ecole de formation dans le pays pour sélectionner les étudiants les plus motivés.

Figure 1a: Photo de groupe de l’école de météorologie de l’Espace en Algérie en 2013

 

Figure 1b: Photo de groupe de l’école de météorologie de l’Espace en Côte d’Ivoire en 2017

  • Formation théorique et pratique avec l’utilisation d’instruments de mesure apportés en Afrique ou/et l’utilisation de bases de données en libre accès sur le web.

La Figure 2 présente les salles de cours lors de l’école en RDC en 2011, les 90 étudiants suivaient ensemble les cours théoriques. Ils étaient ensuite séparés en sous-groupe de trente étudiants pour les travaux pratiques.

 

Figure 2: Salle pour les cours magistraux durant l’école en RDC de 2011

 

  • Encadrement de thèse
    • Les étudiants seront sous la responsabilité d’un directeur de recherche du pays. Des scientifiques d’autres pays, apporteront l’expertise de leur discipline aux étudiants.
    • Les recherches sont effectuées majoritairement dans le pays avec des séjours de recherche à l’étranger de courte durée (quelques mois), afin d’acquérir certaines connaissances auprès des encadrants étrangers (thèse sandwich)
    • La thèse est soutenue dans le pays de l’étudiant,

Figure 3a: Thèse de Frédéric Ouattara en 2009 à Dakar/ Sénégal

 

Figure 3b: Thèse de Jean-Louis Zerbo en 2012 à Ouagadougou / Burkina Faso

 

Figure 3c: Thèse de Jean Kigosti en 2016 à Kinshasa / RDC

 

  • Obtention des postes pour les étudiants formés dans leur pays
    • L’ouverture des écoles de formation à la météorologie de l’Espace est faite par les responsables du pays (Ministres, Président d’université etc…) qui sont conviés à s’engager pour la création de postes de recherche.

D’autre part, le pays accueillant une école finance toutes les dépenses faites dans le pays (hébergement, nourriture, salles, matériel, etc).

Figure 4: Ouverture de l’école en RDC par Ministre de l’Education et de l’Enseignement Supérieur : Mashako Mamba , le Ministre des Hydrocarbures: Célestin Mbuyu Kabango et le Secrétaire Général de l’Académie : Prosper Kanyakongote Mpangazehe

 

  • Développer le cursus universitaire pour ces études nouvelles
    • Ce cursus est développé par les étudiants formés ayant obtenu un poste dans leur pays.
  • Lien avec la population
    • Conférences scientifiques pour les jeunes dans les écoles,

Figure 5: Conférence scientifique pour les lycéens en 2013 en Côte d’Ivoire.

 

  • Articles de journaux

Figure 6: Article de presse sur la première thèse en météorologie de l’Espace au Burkina Faso.

 

Sur le site internet www.girgea.org , vous trouverez tous les rapports des différentes écoles du GIRGEA.

 

Enseignement et transfert des connaissances

 

La Météorologie de l’Espace est multidisciplinaire et nécessite donc des connaissances sur la physique des relations Soleil-Terre.

Cette physique implique différentes disciplines :

  • la physique du soleil,
  • la physique du milieu interplanétaire,
  • la physique de la magnétosphère,
  • la physique de l’ionosphère,
  • la physique de l’atmosphère,
  • la physique de la terre,

 

Dans le cadre de nos écoles d’une durée de quinze jours, des spécialistes de chaque discipline sont venus faire des exposés magistraux le matin, et encadrer les séances de travaux pratiques, l’après-midi, utilisant les données disponibles sur le web.

 

Des sujets de thèse ont ensuite été déterminés à la fin de chaque école pour les étudiants sélectionnés. En général, les sujets choisis impliquant plusieurs disciplines ont nécessité un encadrement diversifié.

 

Nous avons veillé aussi à développer dans nos écoles l’histoire des sciences sur la discipline enseignée et avons travailler à transférer le maximum de connaissances acquises dans le monde sur la physique des relations Soleil-Terre au cours des années 1960-1990. Nous avons eu recours à des chercheurs seniors aujourd’hui disparus : P.N Mayaud, O. Fambitakoye, J-P. Legrand, P. Simon.

 

La météorologie de l’Espace, en plus de la connaissance des phénomènes physiques agissant dans le système soleil-terre, nécessite d’étudier les impacts de ces phénomènes sur les nouvelles technologies. Autour de l’équateur magnétique, il existe des irrégularités du plasma ionosphérique se développant principalement après le coucher du soleil sous l’influence de l’instabilité Rayleigh-Taylor.

Ces irrégularités de plasma affectent la propagation des ondes électromagnétiques, et leurs effets sur les ondes HF et VHF étaient bien connues. Ces irrégularités de plasma affectent les signaux émis par les satellites et créent des scintillations de ces signaux. Avec le développement du Global Navigation Satellite System (GNSS) incluant maintenant GPS, GALILEO, GLONASS, BEIDOU, les perturbations des signaux émis par de nombreux satellites sont observées au sol et permettent l’étude de l’ionosphère dans des régions où cela n’avait pas été fait.

 

En plus de former les étudiants à la météorologie de l’Espace, nous les avons formés à la gestion de leur temps, à l’administration, à l’organisation d’une école dans leur pays, à la recherche de financement au niveau international, à la bonne gestion des finances et à la transparence totale sur l’utilisation des fonds reçus. Dans chaque rapport d’école (www.girgea.org), il y a une utilisation précise des financements. Cela a empêché toute corruption.

 

Il est aussi très important de noter que la technique GNSS, prévue au départ pour le positionnement, est devenu un outil important pour la recherche dans de nombreuses disciplines : mouvements des plaques tectoniques, troposphère (contenu en vapeur d’eau), ionosphère (contenu total en électron et signature des irrégularités de plasma) (Amory-Mazaudier et al., 2017).

 

Connections essentielles du GIRGEA avec les organisations internationales

 

Nous avons débuté le développement des sciences de l’Espace en Afrique au début des années 1990 dans le cadre du projet AIEE. L’arrivée de la communauté internationale en Afrique en 2005 pour le projet IHY suivi du projet ISWI a boosté nos résultats. Notre modèle a été suivi, et des écoles de météorologie de l’Espace, auxquelles notre réseau a été associé, ont été développées dans les pays en voie de développement par les scientifiques des projets IHY et ISWI, ainsi que par les organisations internationales ICTP (International Centre for Theoretical Physics) et SCOSTEP et plus récemment ICG (International Commission for GNSS/ United Nations), le succès de cette coopération internationale a fait l’objet d’un article publié dans le journal Space Weather and Space Climate (Amory-Mazaudier et al., 2021).

 

Le tableau 1 donne les thèses soutenues auxquelles notre réseau a participé.

 

Tableau 1

 

Pays Nombre de thèse Années
Algérie 4 [2013 -2019]
Bénin 2 2004 2020 chercheur isolé
Burkina Faso 14 [2009-2021]
Cameroun 1 2018 chercheur isolé
Congo Brazzaville 1 2017 chercheur isolé
Côte d’Ivoire 14 [1995-2021]
Egypte 5 [2009-2021]
Espagne 1 1992 équipe observatoire d’Ebre
France 3 1993, 1997, 2001
Guinée 1 2020 chercheur isolé
Inde 1 2008
Malaisie 1 2018
Maroc 2 2016 2019 équipe observatoire de Marakkech
Nigéria 1 2019
RDC 5 [2015-2020]
Sénégal 2 1993  2013
Tunisie 1 2017 chercheur isolé
Vietnam 6 [2008-2015]
18 pays 65 thèses / 53 en Afrique  

 

 

Le nombre total de thèses soutenues est de 65, dont 53 en Afrique. Dans le temps, la répartition de ces thèses est la suivante :  8 thèses de 1992 à 2000, 10 thèses de 2001 à 2010, 45 thèses de 2011 à 2021. Cet accroissement énorme durant la dernière décennie est dû aux projets internationaux développés après 2005 (IHY et ISWI). Les thèses soutenues postérieurement à l’année 2005 s’inscrivent dans la discipline de la météorologie de l‘espace

Dans le tableau 1, nous avons noté en rouge (Inde, Malaisie, Nigéria), les thèses pour lesquelles le GIRGEA est intervenu uniquement dans le cadre du réseau international, sans avoir développé une école dans le pays et sélectionné les étudiants. Nous avons surligné en gris les pays pour lesquels une équipe nouvelle de météorologie de l’Espace a été formée ou est en cours de formation. On peut noter qu’il y a aussi des chercheurs isolés qui peut-être créeront des équipes de météorologie de l’Espace dans le futur.

 

 Conclusion

 

Dans le cadre du programme international UNBSS initié en 1991, des projets internationaux AIEE, AHI et ISWI ont aidé au développement des sciences de l’Espace dans beaucoup de pays en voie de développement par une action internationale soutenue durant 3 décennies. Le développement de la météorologie de l’Espace, nouvelle discipline initiée dans les années 1990 a bénéficié de cela. Les chercheurs formés en Afrique dans cette nouvelle discipline développent cette discipline naissante.

 

Christine Amory-Mazaudier – Christine.amory@lpp.polytechnique.fr

Sorbonne Université, Ecole polytechnique, Institut Polytechnique de Paris, Université Paris Saclay, Observatoire de Paris, CNRS, Laboratoire de Physique des Plasmas (LPP), 75005 Paris, France

 

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