Selon des simulations numériques, des volcans actifs seraient présents sur le plancher de l’océan souterrain d’Europe, la seconde lune de Jupiter par la distance, et l’énergie nécessaire à l’entretien de ce volcanisme proviendrait de l’énergie dissipée par les forces de marée.
Europe, une lune de Jupiter
Avec un rayon de 1 561 km, Europe est le plus petit des satellites galiléens de Jupiter. Sa surface, très lisse et dépourvue de cratères, est parsemée de longues rayures. Elle est de plus composée de glace d’eau avec, par endroits, des dépôts de sel (chlorure de sodium). La masse volumique d’Europe (3 000 kg/m3) suggère que ce corps est composé d’un gros manteau rocheux d’environ 1 400 km de rayon avec, au centre, un petit noyau métallique. Mais Europe est surtout connue pour abriter un océan souterrain d’eau et de sels sous une coquille de glace de quelques dizaines de kilomètres d’épaisseur. Pour peu qu’une source de chaleur soit également présente, les océans souterrains constitueraient un environnement potentiellement favorable à l’apparition de vie en dehors de la Terre. À ce titre, Europe est l’une des cibles privilégiées des prochaines missions vers le système de Jupiter.
Comme Io sa voisine, Europe est soumise à des forces de marée exercées par Jupiter, mais de façon moins extrême. Ces forces déforment l’intérieur d’Europe, et une petite fraction de l’énergie mise en jeu lors de ces déformations est dissipée par friction sous forme de chaleur. L’intensité des forces de marée et la quantité d’énergie dissipée dépendent de plusieurs facteurs, en particulier de l’excentricité de l’orbite d’Europe. Plus celle-ci est élevée, plus l’énergie dissipée est importante. Avec le temps, l’orbite d’Europe aurait dû se circulariser, mais des résonances avec les orbites d’Io et de Ganymède empêchent ce phénomène de se produire. Plus généralement, l’excentricité de l’orbite d’Europe et donc la quantité de chaleur dissipée ont sans doute beaucoup varié au cours du temps.
La dissipation d’énergie de marée augmente la quantité de chaleur disponible à l’intérieur d’Europe, ce qui a pour effet de modifier son évolution. La dissipation d’énergie dans la couche de glace externe joue sans doute un rôle clé pour limiter la croissance de cette enveloppe (et donc pour maintenir un océan relativement épais), ainsi que pour entretenir des geysers en surface [1] . Toutefois, la dissipation d’énergie par les forces de marée peut aussi se produire dans le manteau rocheux. Cette énergie viendrait alors s’ajouter à l’énergie libérée par la désintégration d’isotopes radioactifs présents dans le manteau rocheux d’Europe, ce qui aurait pour effet de modifier sa dynamique et son évolution. Dans un article publié dans la revue Geophysical Research Letters, et à laquelle ont participé des chercheurs du Laboratoire de planétologie et de géodynamique de Nantes (LPGN), Marie Běhounková, de l’université Charles de Prague, a étudié ces conséquences en détail [2] . Elle conclut que des volcans actifs pourraient être présents de nos jours au sommet de ce manteau ou, si l’on préfère, à la base de l’océan souterrain.
Du volcanisme actif au sommet du noyau
Pour arriver à cette conclusion, Marie Běhounková a réalisé une série de calculs simulant le transfert de chaleur par convection dans le manteau d’Europe au cours du temps. Ce type de simulation permet d’estimer la température, et par extension la production de magma (ou plus précisément de roches fondues), en un point donné d’un système. Dans ce cas précis, les simulations prennent en compte plusieurs paramètres importants, notamment la production de chaleur par les isotopes radioactifs et la dissipation de chaleur par les forces de marée. L’intensité du chauffage radioactif dépend de la quantité d’isotopes radioactifs initialement présents et décroît exponentiellement avec le temps. Plus la quantité initiale d’isotopes est faible, moins la production de magma est durable. L’intensité du chauffage de marée dépend de l’excentricité de l’orbite d’Europe et peut donc varier au cours du temps. Les simulations de Marie Běhounková montrent que la dissipation d’énergie par les forces de marée apporte un chauffage d’appoint qui permet, lorsque l’excentricité est suffisamment élevée, de maintenir une production de magma. Selon ces calculs, des pics de production de magma se concentrant autour des régions polaires ont ainsi pu se produire jusqu’à des périodes très récentes (fig. 1), et ce même si la quantité initiale d’éléments radioactifs est modeste.
Une activité volcanique récente, ou même actuelle, à la base de l’océan souterrain d’Europe est donc parfaitement envisageable. Dans ce cas, un certain nombre d’indices pourrait étayer cette hypothèse. Le volcanisme et l’activité hydrothermale qui lui est associée devraient en effet s’accompagner de l’émission de dioxyde de carbone (CO2), de méthane (CH4), et de dihydrogène (H2). La présence d’édifices volcaniques sur le plancher océanique d’Europe pourrait aussi légèrement modifier le champ de gravité de ce satellite. De tels indices sont ténus et difficilement identifiables, mais leur recherche pourrait faire partie des buts des missions Juice (Esa) et Europa-Clipper (Nasa), qui sont en cours de développement. Enfin, faut-il rappeler qu’une activité volcanique à la base de l’océan d’Europe ouvrirait des perspectives exobiologiques particulièrement intéressantes ? Elle permettrait, via une activité hydrothermale, de fournir la chaleur nécessaire à l’entretien d’une hypothétique forme de vie primitive.
Frédéric Deschamps IESAS, Taipei, Taïwan
[1]. À ce jour, aucun geyser n’a été formellement identifié à la surface d’Europe. Cependant, plusieurs indices, en particulier des images UV prises par le télescope Hubble, font penser que ce phénomène est bien présent aux pôles de ce satellite. [2]. BĚHOUNKOVÁ M. et al., Tidally induced magmatic pulses on the oceanic floor of Jupiter’s moon Europa, Geophysical Research Letters, 48, e2020GL090077, doi : 10.1029/2020GL090077.l’Astronomie.