LE MAGAZINE DES SCIENCES DE L’UNIVERS EN AFRIQUE

Toutes les étoiles tournent sur elles-mêmes. Mais à quelle vitesse ? Et surtout comment tournent-elles à l’intérieur ? Cette dernière question est longtemps restée tout à fait mystérieuse pour les astrophysiciens, faute de pouvoir mesurer cette rotation interne.

Et pourtant, comme on l’expliquera plus bas, la rotation influence l’évolution des étoiles. Pour « connaître » une étoile de façon précise, et en particulier mesurer sa masse ou son âge, il est donc nécessaire de savoir comment elle tourne sur elle-même et de prendre en compte les effets de la rotation sur son évolution. La question a son importance, car de plus en plus de disciplines en astrophysique ont un besoin crucial d’estimations fines des paramètres stellaires, comme leur masse, leur rayon ou leur âge. L’exemple le plus parlant est celui des exoplanètes, qui nécessitent pour être bien caractérisées de connaître précisément les propriétés de l’étoile autour de laquelle elles gravitent. C’est le cas aussi pour la compréhension de la formation et de la dynamique de notre Galaxie (une discipline connue sous le nom d’archéologie galactique), qui a besoin d’estimations précises des âges stellaires. Notre connaissance de la rotation interne des étoiles a connu un remarquable bond en avant ces dernières années grâce à l’astérosismologie des étoiles géantes rouges, c’est-à-dire l’étude des ondes sismiques qui se propagent dans ces étoiles. Nous vous proposons donc ici un voyage vers le centre des étoiles géantes rouges. Pour cela, on aura besoin de s’attarder en chemin sur la rotation stellaire et sur les principes de l’astérosismologie.

Les étoiles tournent sur elles-mêmes plus ou moins rapidement selon leur âge, leur masse et les conditions dans lesquelles elles se sont formées. Or, la rotation influence la structure et l’évolution des étoiles. Sa conséquence la plus spectaculaire est l’aplatissement des étoiles aux pôles du fait de la force centrifuge. Cet effet n’est toutefois visible que pour les étoiles qui tournent assez vite sur elles-mêmes. Le Soleil, qui a une rotation lente, est presque pratiquement sphérique (son diamètre aux pôles est inférieur à son diamètre équatorial de seulement 0,001%). En revanche, même dans les étoiles qui tournent lentement, la rotation provoque des mouvements d’ensemble à l’intérieur de l’étoile et induit ainsi un mélange des éléments chimiques. Cela modifie la quantité d’hydrogène disponible pour les réactions nucléaires au cœur de l’étoile et la rotation influence le rythme auquel l’étoile évolue.

Or, malgré leur importance, les effets de la rotation sont décrits de manière approximative et incomplète dans les modèles d’évolution stellaire actuels1. La première raison est que ces modèles sont pour l’instant contraints de supposer que les étoiles possèdent une symétrie sphérique, alors que la rotation rompt cette symétrie, en donnant à l’étoile une direction privilégiée (celle de son axe de rotation). On doit donc pour le moment se résigner à modéliser de façon approchée les effets de la rotation dans ce contexte simplifié. Un autre problème vient du fait que dans les étoiles, la rotation est intimement liée à d’autres processus physiques qui sont eux-mêmes imparfaitement compris. C’est le cas de la convection thermique, qui assure une partie du transport de chaleur dans certaines régions des étoiles (par exemple dans l’enveloppe du Soleil), ou des champs magnétiques, qui sont détectés dans une proportion grandissante d’étoiles. L’interaction entre la rotation et ces processus est un sujet très actif de recherche en physique stellaire. Pour progresser dans notre compréhension de ce problème épineux, il est aujourd’hui crucial d’obtenir des mesures observationnelles de la rotation dans les étoiles.

 

Mesurer la rotation des étoiles

Mesurer la rotation des étoiles n’est pas chose aisée. La majorité des méthodes actuelles permet d’estimer la rotation de surface de l’étoile. Pour cela, on peut par exemple se servir des taches stellaires (analogues des taches solaires) visibles à la surface des étoiles actives. À mesure que l’étoile tourne, ces taches passent périodiquement sur la face visible et impriment une modulation de la luminosité de l’étoile détectable par des observations photométriques, c’est-à-dire en mesurant le flux qui provient de l’étoile. La période du signal nous donne alors une estimation de la période de rotation de surface. Une autre méthode consiste à utiliser la spectroscopie : par effet Doppler, la rotation de surface provoque un élargissement caractéristique des raies spectrales : plus l’étoile tourne vite, plus les raies sont élargies2.

Toutefois, mesurer la rotation de surface des étoiles n’est pas suffisant pour comprendre les mécanismes qui gouvernent son évolution. En effet, il ne faut pas oublier que les étoiles ne sont pas des corps solides, mais des boules de gaz. Il n’y a donc a priori aucune raison que toutes les régions d’une étoile mettent le même temps à effectuer un tour complet autour de l’axe de rotation, comme ce serait le cas par exemple pour une boule de billard. Ainsi, on sait que la surface du Soleil met environ 24 jours à effectuer une rotation complète à l’équateur, mais plutôt environ 35 jours aux pôles : la rotation des étoiles varie donc en fonction de la latitude : on parle de rotation différentielle en latitude. De même, les couches centrales d’une étoile peuvent tourner à des vitesses différentes de celles des couches superficielles (rotation différentielle radiale). À première vue, on s’attend même à trouver des écarts importants entre la rotation au cœur des étoiles et celle à la surface. En effet, le cœur des étoiles tend à se contracter au cours de l’évolution (ce phénomène est particulièrement prononcé à certaines étapes de l’évolution de l’étoile, comme pour les géantes rouges, qui nous intéresseront plus loin). Or, si l’on contracte un corps isolé, sa fréquence de rotation (le nombre de tours qu’il effectue par seconde) augmente3. Par exemple, ce phénomène s’observe très bien dans le mouvement du patineur artistique qui tourne sur lui-même : il augmente sa fréquence de rotation en rapprochant les bras de son corps et la diminue en écartant les bras. On s’attend donc a priori à ce que le cœur des étoiles tourne plus vite que leur enveloppe. On voit donc que pour comprendre la rotation des étoiles, il est absolument nécessaire de mesurer leur rotation interne en plus de leur rotation de surface.

À ce stade, les choses se compliquent. En effet, quand on observe une étoile, on ne « voit » que les couches les plus superficielles, l’intérieur stellaire étant opaque au rayonnement à cause des interactions très fréquentes entre les photons et la matière. L’intérieur des étoiles est donc inaccessible aux observations directes. C’est cette constatation qui a poussé Arthur Stanley Eddington, un des pères de la physique stellaire moderne, à affirmer en 1926 que « l’intérieur des étoiles et du Soleil semble à première vue moins accessible aux investigations scientifiques que n’importe quelle autre région de l’Univers. Nos télescopes peuvent sonder de plus en plus loin les profondeurs de l’espace ; mais comment pourrions-nous avoir connaissance de ce qui est caché derrière des barrières substantielles ? Quel instrument peut percer les régions superficielles d’une étoile et en sonder l’intérieur ? » La réponse nous est parvenue seulement quelques décennies plus tard, avec l’avènement de l’héliosismologie, c’est-à-dire l’étude des oscillations du Soleil. Avant de montrer comment les oscillations peuvent donner accès à la rotation interne des étoiles, il est utile d’introduire brièvement la sismologie des étoiles, autrement appelée astérosismologie.

 

Astérosismologie

À regarder le ciel nocturne, il est tentant d’imaginer les étoiles comme des sources immuables de lumière. Et pourtant, une grande proportion d’entre elles présente des vibrations, qui sont généralement trop faibles pour être perçues à l’œil nu, mais nous apparaissent de plus en plus précisément à mesure que la sensibilité de nos instruments de mesure augmente4. Ces oscillations sont produites par la propagation d’ondes sismiques à l’intérieur des étoiles. Il en existe essentiellement deux catégories. Celles qui nous sont les plus familières sont les ondes de pression (ou ondes acoustiques). Elles sont directement équivalentes au son, c’est-à-dire aux ondes sonores se propageant dans l’atmosphère terrestre. L’autre type d’ondes que l’on rencontre dans les étoiles correspond aux ondes de gravité. Elles résultent de la poussée d’Archimède (la force qui fait flotter les objets moins denses que le liquide dans lequel ils se trouvent). Les vagues se propageant à la surface de la mer sont un exemple d’ondes de gravité.

Les ondes sismiques sont réfléchies à la surface ou aux interfaces entre les différentes régions de l’étoile. À certaines fréquences particulières, les ondes peuvent se superposer et donner naissance à des oscillations globales de toute l’étoile : on parle de modes propres d’oscillation. Ce phénomène est bien connu sur Terre, puisqu’on le rencontre par exemple dans les instruments de musique. Lorsqu’un musicien souffle dans une flûte, cela provoque des vibrations globales de la colonne d’air dans l’instrument à des fréquences qui lui sont propres : la fréquence fondamentale (qui donne la note) et les harmoniques (qui caractérisent le timbre de l’instrument). De la même façon que la flûte, une étoile peut, si elle reçoit une excitation particulière, vibrer selon ses modes propres d’oscillation. Pour les modes construits à partir d’ondes acoustiques, on parle de « modes de pression » ou de « modes p ». Les modes résultant de la superposition d’ondes de gravité sont dits « modes de gravité », ou « modes g ». On verra plus loin qu’il existe des modes qui possèdent une double identité, « p » et « g ». Il existe en théorie une infinité de modes d’oscillation dans une étoile, mais le nombre et la nature des modes qui sont effectivement excités dépendent du type d’étoile que l’on considère. Mesurer les fréquences des modes propres donne des informations sur sa structure interne, qui auraient été inaccessibles sans cela. Pour comprendre la manière dont l’astérosismologie nous renseigne sur les intérieurs stellaires, on peut poursuivre l’analogie avec la flûte. La fréquence de la note émise par l’instrument dépend de la vitesse du son cs dans l’air et de la longueur L de la colonne d’air dans la flûte. Plus la longueur L est grande, plus la fréquence de la note est basse et donc plus le son émis est grave. De même, plus L est petit, plus le son est aigu. Inversement, si la longueur L est connue, on peut directement déduire une estimation de la vitesse du son dans l’air à partir de la mesure de la fréquence de la note émise. De la même façon, la fréquence de chaque mode d’oscillation d’une étoile nous apporte des informations directes sur les propriétés physiques de l’étoile dans les régions qu’il sonde. Voilà qui répond brillamment au défi d’Eddington !

Figure 1. Comportement en surface de différents modes d’oscillation pour une étoile en rotation lente (comme le soleil ou les géantes rouges). Quand les zones en bleu se contractent, les zones en rouge se dilatent et inversement. Les régions en blanc correspondent à des «lignes nodales» des oscillations, qui par définition ne sont pas affectées par l’oscillation. Pour le lecteur avisé, l’allure des modes en surface correspond aux «harmoniques sphériques», que l’on retrouve par exemple en mécanique quantique dans la description des orbitales atomiques. elles sont caractérisées par deux nombres quantiques, le degré angulaire l (qui correspond aux nombres de lignes nodales du mode) et le nombre azimutal m (qui correspond aux nombres de méridiens qui sont des lignes nodales).

 

À quoi une étoile qui oscille ressemble-t-elle alors ? Les oscillations les plus simples que l’on puisse imaginer sont celles qui voient la surface entière de l’étoile se contracter puis se dilater périodiquement. Ce sont les oscillations radiales. Mais il en existe beaucoup d’autres, pour lesquelles des parties de la surface se contractent pendant que d’autres se dilatent (les oscillations non radiales). La figure 1 donne un aperçu de quelques types d’oscillations possibles. Pour comprendre cette figure, il faut se représenter que les zones en bleu se contractent pendant que les zones en rouge se dilatent, et inversement au cours de l’oscillation. La surface d’une étoile pulsante correspond à la superposition de tous les modes d’oscillation qui sont excités et peut donc avoir une allure très complexe.

Qu’en est-il alors du comportement des ondes sismiques à l’intérieur de l’étoile ? C’est ce qui nous intéresse directement ici, car c’est de cette façon que l’on obtient des renseignements sur la structure interne de l’étoile. Pour le comprendre, il est instructif de prendre l’exemple du Soleil, dont les oscillations n’ont été détectées qu’au début des années 19605. La figure 2 montre le chemin suivi par les ondes de pression dans le Soleil. Comme on le voit, elles se propagent dans les régions externes de l’étoile. Elles ont un déplacement quasiment vertical aux environs de la surface, mais à mesure qu’elles pénètrent dans l’étoile, elles subissent une déviation qui les ramène vers la surface6. Elles ont donc une profondeur de pénétration maximale, qui n’est pas la même d’un mode à l’autre : plus le degré angulaire l (voir définition sur la figure 1) des modes de pression est élevé, plus le mode est confiné dans les régions superficielles de l’étoile. Ce point est crucial, car il montre que les modes d’oscillation sondent des régions différentes de l’étoile. On comprend donc qu’en combinant les fréquences d’un grand nombre de modes, on peut obtenir des informations localisées sur les propriétés physiques de l’intérieur de l’étoile !

Contrairement aux ondes de pression, les ondes de gravité sont piégées dans le cœur de l’étoile. Elles ne peuvent pas se propager dans les zones convectives, c’est-à-dire les régions où la convection thermique transporte une partie de la chaleur. Or, le Soleil possède une enveloppe convective qui représente environ 30 % de son rayon. Les modes de gravité solaires possèdent donc des amplitudes extrêmement faibles à la surface de l’astre. Ces modes sont aujourd’hui activement recherchés, car ils renseigneraient sur la structure des régions les plus centrales de notre étoile. Il existe à ce jour plusieurs détections annoncées des modes de gravité solaires (Garcia et al. 2004, Fossat et al. 2017), mais celles-ci restent toutefois débattues.

Figure 2. Propagation des ondes sismiques de pression (a) et de gavité (b) dans un modèle du soleil.
a/ Chemin suivi par des ondes de pression de fréquence 3 mHz et de degré angulaire l = 5 (bleu), l = 30 (violet) et l = 100 (rouge). – b/ Les lignes en pointillé indiquent la profondeur de pénétration maximale des ondes. Chemin suivi par une onde de gravité de fréquence 200μHz et de degré angulaire l = 10.

Sismologie et rotation

Une étape cruciale pour le sujet qui nous intéresse ici est que les fréquences des modes d’oscillation sont modifiées par la rotation de l’étoile. Dans une étoile sans rotation, tous les modes d’oscillation qui se trouvent sur une même rangée sur la figure 1 (et donc qui possèdent le même degré angulaire l) ont la même fréquence. Sous l’effet de la rotation, leurs fréquences deviennent différentes et l’écart de fréquence entre ces modes est d’autant plus important que la rotation est rapide. En mesurant ces écarts, on a donc la capacité de mesurer la rotation à l’intérieur de l’étoile ! Or, il faut garder en tête que les modes d’oscillation sondent des régions différentes de l’étoile et chacun renseigne donc sur la rotation dans une région bien spécifique de l’étoile. Si l’on dispose de suffisamment de modes d’oscillation, on peut reconstituer le profil de rotation interne de l’étoile en rassemblant les informations venant de tous les modes. Jusqu’à très récemment, ce type de travail n’avait été possible que pour le Soleil.

 

Rotation interne du Soleil

La meilleure mesure sismique de la rotation interne d’une étoile est sans conteste celle du Soleil. Plusieurs centaines de modes d’oscillation ont pu être détectés et la séparation en fréquence causée par la rotation a été mesurée pour les modes non radiaux. Or, ces modes sondent des régions suffisamment distinctes les unes des autres pour pouvoir mesurer la rotation interne du Soleil. La figure 3 montre le profil de rotation interne du Soleil, qui est indubitablement une des plus grandes réussites de l’héliosismologie (Schou et al. 1998, Garcia et al. 2007) ! Cette figure représente une coupe du Soleil dans un plan méridien et les niveaux de couleurs indiquent la vitesse de rotation obtenue par l’héliosismologie. Les modes p solaires sont peu sensibles à la rotation aux pôles et dans les régions centrales de l’étoile, ce qui explique l’absence de mesure de rotation dans ces zones. On remarque sur la figure 3 une différence claire de comportement entre deux régions distinctes du Soleil.

Dans l’enveloppe convective (régions au-dessus de la ligne en pointillé), la rotation ne dépend presque pas de la profondeur dans l’étoile. En revanche, elle varie en fonction de la latitude, les pôles tournant plus lentement que l’équateur (période de rotation d’environ 25 jours à l’équateur et de 34 jours vers 70° de latitude). Les mesures sismiques sont donc en bon accord avec les mesures de rotation de surface provenant de l’étude des taches solaires, mentionnées plus haut.

Dans les régions internes du Soleil (en-dessous de la ligne en pointillé), la rotation est quasiment uniforme en rayon et en latitude : tous les éléments du gaz mettent le même temps pour effectuer un tour complet dans cette région.

Ces observations sont en contradiction directe avec les prédictions des modèles d’évolution stellaire standard, selon lesquelles la rotation angulaire (le nombre de tours effectués par seconde) doit augmenter à mesure qu’on se rapproche du cœur de l’étoile. L’héliosismologie a donc mis en évidence l’existence d’un processus qui homogénéise efficacement la rotation dans le Soleil et qui manque dans les modèles stellaires actuels. Comprendre de quel mécanisme il s’agit et la manière dont il opère est l’un des principaux défis en physique stellaire aujourd’hui. Pour progresser, il est crucial d’avoir accès à des mesures de rotation interne d’autres étoiles que le Soleil.

Figure 3. Profil de rotation interne du soleil obtenu par l’héliosismologie. La vue correspond à une coupe dans un plan méridien de notre étoile et les niveaux de couleurs indiquent le taux de rotation du plus lent (bleu) au plus rapide (rouge). La ligne en tirets indique la base de l’enveloppe convective du soleil. Dans les zones qui restent blanches, la rotation n’a pas pu être mesurée pas les auteurs (aujourd’hui, les modes p solaires permettent de mesurer la rotation jusqu’à environ 20 % du rayon solaire). (Schou et al. 1998)

 

Modes d’oscillation mixtes dans les étoiles géantes rouges

La sismologie des étoiles géantes rouges, qui a connu un essor spectaculaire au cours de la dernière décennie, a apporté un éclairage nouveau et des contraintes observationnelles inédites à ce problème de longue date. Il est utile de rappeler pour commencer que la phase de « géante rouge » pour une étoile survient après l’épuisement de l’hydrogène en son cœur (il s’agit donc de l’avenir lointain du Soleil). L’étoile possède alors un cœur constitué presque exclusivement d’hélium. Elle doit s’adapter à l’extinction des réactions nucléaires en son centre. Les régions internes se contractent et chauffent jusqu’à ce que l’hydrogène qui subsiste au-delà du cœur commence à fusionner pour donner de l’hélium. Parallèlement, les régions externes s’étendent fortement et refroidissent : l’étoile devient alors une géante rouge7. Ces étoiles sont particulièrement intéressantes pour le problème qui nous occupe ici, pour deux raisons.

La première est que les contractions et dilatations subies lors de la phase de géante rouge doivent en principe causer une forte rotation différentielle dans l’étoile : en se contractant, le cœur devrait tourner de plus en plus vite sur lui-même et, au contraire, l’enveloppe en expansion devrait tourner de moins en moins vite. Si, comme dans le Soleil, un mécanisme agit pour homogénéiser la rotation interne, il doit réduire la rotation différentielle dans les étoiles géantes. Mesurer la rotation de ces étoiles permettrait alors d’estimer l’efficacité de ce mécanisme et éventuellement de l’identifier.

La seconde raison de l’intérêt des géantes rouges est que ces étoiles possèdent des modes d’oscillation dits mixtes, qui sont à la fois des modes p et des modes g. La figure 4 présente la répartition en énergie d’un mode mixte dans une étoile géante. On voit que le mode mixte possède de l’énergie dans l’enveloppe, et plus particulièrement vers la surface. Dans cette région, il se comporte comme un mode p. Mais le mode possède également de l’énergie dans le cœur, où il a le comportement d’un mode g. L’apparition de modes mixtes dans les étoiles géantes est due au fait que les fréquences des modes g deviennent similaires à celles des modes p qui sont excités. En cela, les géantes rouges diffèrent des étoiles plus jeunes, comme le Soleil, pour lesquelles les modes g ont une fréquence nettement plus basse que celle des modes p.

Les modes mixtes ont un intérêt très clair : d’une part, leur caractère de modes g leur permet de sonder les régions les plus centrales de l’étoile, qui seraient inaccessibles autrement. D’autre part, leur caractère de mode p dans l’enveloppe leur donne des amplitudes détectables en surface, contrairement aux modes g solaires. Le très fort intérêt des modes mixtes avait été reconnu très tôt d’un point de vue théorique (Aizenman et al. 1977), mais il a fallu attendre l’avènement de l’astérosismologie spatiale pour que ces modes soient détectés et exploités à leur plein potentiel. Le premier coup d’accélérateur a été donné par le satellite CoRoT, lancé par le Cnes en 2006 avec le double objectif de sonder les intérieurs stellaires par la sismologie et de rechercher des exoplanètes. En observant de façon quasiment continue pendant des temps allant jusqu’à 180 jours, il a fourni des données sismiques d’une qualité sans précédent (la précision obtenue sur la mesure des fréquences des modes d’oscillation est inversement proportionnelle au temps d’observation). Il a ainsi permis la détection d’oscillations excitées par l’enveloppe convective dans des centaines de géantes rouges alors que seulement une poignée d’étoiles de ce type étaient connues auparavant (de Ridder et al. 2009). Le satellite Kepler, lancé par la Nasa en 2009, a transformé l’essai en augmentant ce nombre à environ 20 000 géantes rouges pulsantes. Des modes d’oscillation mixtes ont été détectés dans la plupart de ces étoiles (Deheuvels et al. 2010, Beck et al. 2011), ouvrant une fenêtre sans précédent sur le cœur de ces étoiles ! Ces modes ont apporté un éclairage nouveau sur de nombreux problèmes en physique stellaire.

Figure 4. répartition de l’énergie d’un mode mixte dans une étoile géante rouge. Les zones bleu foncé correspondent aux régions d’énergie maximale du mode. on voit que le mode possède de l’énergie dans l’enveloppe, et plus particulièrement vers la surface : il se comporte comme un mode p dans cette zone. il possède aussi de l’énergie au cœur, où il a le comportement d’un mode g.

 

Rotation interne des étoiles géantes rouges

En observant pendant quatre ans un même champ du ciel, le satellite Kepler a atteint une précision suffisante pour détecter et mesurer la séparation en fréquence causée par la rotation sur les modes mixtes (Beck et al. 2012). Cela a offert l’occasion excitante de sonder la rotation interne des étoiles géantes rouges. Les modes mixtes qui se comportent plutôt comme des modes de pression renseignent sur la rotation de l’enveloppe, alors que ceux qui ont un comportement de mode de gravité fournissent une mesure de la rotation dans les régions centrales. De telles mesures étaient ardemment attendues, dans la mesure où même pour le Soleil nous ne disposons pas de mesure ferme de la rotation au cœur !

La première étoile géante rouge pour laquelle il a été possible de mesurer précisément la rotation du cœur est une étoile cible de Kepler (Deheuvels et al. 2012). Nous l’avons baptisée Otto, d’après le professeur Otto Lidenbrock, qui mène l’expédition vers les profondeurs terrestres dans Voyage au centre de la Terre, de Jules Verne. L’astérosismologie a permis de montrer que le cœur de cette étoile tourne entre 12 et 22 fois plus vite que son enveloppe. Cette rotation différentielle radiale peut paraître forte, mais en réalité elle est environ 100 fois plus faible que celle prédite par les modèles stellaires actuels (Ceillier et al. 2013, Marques et al. 2013). C’est là une preuve claire qu’un processus physique œuvre pour empêcher le cœur des géantes rouges de tourner trop vite.

Par la suite, il a été montré que lorsque les étoiles sont en train de devenir des géantes rouges (on parle alors d’étoiles sous-géantes), la rotation du cœur accélère alors que la rotation de l’enveloppe décélère au cours de l’évolution. Les résultats qui mènent à cette conclusion sont montrés sur la figure 5. Ce type de comportement était attendu, dans la mesure où le cœur se contracte alors que l’enveloppe se dilate pendant cette période (souvenez-vous de l’exemple du patineur !). Toutefois, à la fois la vitesse de rotation au cœur et l’intensité de la rotation différentielle radiale (le rapport entre la rotation du cœur et celle de l’enveloppe) sont nettement inférieures à ce que prédisent les modèles théoriques actuels. Cela confirme l’existence d’une homogénéisation de la rotation interne à ce stade de l’évolution.

La rotation du cœur a également pu être mesurée dans un millier d’étoiles géantes rouges (Mosser et al. 2012, Gehan et al. 2018). Ces résultats ont montré que la rotation au cœur des étoiles géantes rouges subit une légère décélération au cours de l’évolution malgré la contraction rapide du cœur, qui devrait au contraire fortement l’accélérer ! Là encore, ces observations pointent vers l’existence d’un mécanisme qui tend à réduire la rotation au cœur des étoiles géantes.

Alors qu’au début des années 2010, le Soleil restait la seule étoile dont la rotation interne avait pu être sondée, l’astérosismologie des géantes rouges a apporté des mesures de la rotation au cœur de plus d’un millier d’étoiles à diverses étapes de leur évolution. Cela constitue une mine d’or pour revisiter la question épineuse de l’évolution temporelle de la rotation interne des étoiles !

Figure 5. Évolution de la rotation au cœur (points rouges) et dans l’enveloppe (points bleus) au cours de la phase de sous-géante (lorsque l’étoile est en train de devenir une géante rouge). La quantité donnée en abscisse (log g) correspond à la gravité de surface de l’étoile. Plus une étoile géante est évoluée, plus sa gravité de surface est faible. Par conséquent, une étoile évolue de la gauche vers la droite dans ce diagramme. on voit que, globalement, le cœur accélère et l’enveloppe décélère au cours de l’évolution pendant la phase de sous-géante.

Perspectives

Ces nouveaux résultats n’ont pas tardé à motiver de nombreuses nouvelles études théoriques visant à identifier le mécanisme qui opère dans les géantes rouges. Le problème n’est pas encore résolu, mais de grands progrès ont ainsi été obtenus. Deux principaux candidats sont aujourd’hui à l’étude. Le premier est le champ magnétique. Il est probable que les cœurs stellaires abritent des champs magnétiques, qu’ils soient présents dès la formation de l’étoile ou bien engendrés par un phénomène de dynamo (comme c’est le cas dans l’enveloppe du Soleil ou dans le noyau de la Terre). Or, de tels champs magnétiques pourraient lisser la rotation interne des étoiles, par exemple par le développement d’instabilités de ces champs magnétiques. L’autre mécanisme possible est la génération d’ondes de gravité internes à la base de l’enveloppe convective des étoiles géantes. Dans ces enveloppes, la matière stellaire est turbulente. Les mouvements turbulents à la base de l’enveloppe peuvent exciter des ondes de gravité, qui se propagent vers le cœur de l’étoile. Dans certaines conditions, ces ondes peuvent homogénéiser la rotation entre l’endroit où elles sont générées (sous l’enveloppe convective) et l’endroit où elles se dissipent. De nombreux travaux théoriques et simulations numériques sont aujourd’hui en cours pour tester ces deux hypothèses et déterminer si elles peuvent rendre compte de la rotation interne des étoiles géantes.

Figure 6. De nouvelles données sismiques seront bientôt complétées par celles de missions comme Plato lancée par l’Europe.

 

La moisson de résultats en astérosismologie est très loin d’être finie ! En plus des résultats sur les géantes rouges, d’autres types d’étoiles ont récemment vu leur rotation interne révélée par l’astérosismologie, comme les étoiles de type spectral A et B en séquence principale (étoiles plus massives que le Soleil et qui fusionnent encore de l’hydrogène au cœur) ou les naines blanches. Les données sismiques des satellites CoRoT et Kepler seront bientôt complétées par celles du satellite américain TESS (lancé par la Nasa en 2018 et en cours d’opération) et du satellite européen PLATO (Esa), dont le lancement est prévu en 2026. On aura à terme une vision claire de la rotation interne des étoiles et de la manière dont elle est modifiée au cours du temps. Avec, à la clé, tous les ingrédients pour comprendre comment la rotation influence l’évolution des étoiles et le décrire correctement dans les modèles d’évolution stellaire.

Sébastien DEHEUVELS | Institut de recherche en astrophysique et planétologie

 

Notes:

  1. Modèles d’évolution stellaire : programmes informatiques permettant de résoudre les équations de la structure et de l’évolution stellaire de façon numérique. Ce sont ces modèles qui permettent aux astrophysiciens de donner des estimations de grandeurs telles que la masse et l’âge des étoiles, qui ne sont en général pas directement mesurables par les observations. 2. En fait, dans ce cas, on ne mesure pas directement la vitesse de rotation, mais sa projection sur la ligne de visée. 3. En mécanique, c’est la conséquence de la conservation du moment cinétique pour un corps isolé. 4. Attention, il ne faut pas confondre les oscillations des étoiles avec le scintillement apparent des étoiles dans le ciel nocturne. Ce dernier est produit par le passage des photons dans l’atmosphère terrestre, alors que les oscillations stellaires, elles, sont intrinsèques aux étoiles. 5. Il faut préciser que les oscillations solaires sont de très faible amplitude. Elles correspondent à une variation de l’ordre du millionième de la luminosité de l’étoile. 6. Cette déviation est due au fait que la matière stellaire n’est pas homogène : la vitesse du son augmente à mesure que les ondes pénètrent dans l’intérieur de l’étoile. Les ondes de pression se propageant dans l’intérieur de la Terre lors d’un séisme subissent le même type de déviation. 7. On la qualifie de géante « rouge » car sa surface refroidit et rayonne alors principalement dans l’infrarouge. Elle nous apparaît donc avec un éclat tirant sur le rouge.

 

 

 

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