LE MAGAZINE DES SCIENCES DE L’UNIVERS EN AFRIQUE

Comète ou astéroïde ? Autrefois, suivant l’expression populaire, « y’avait pas photo ! ». Un simple coup d’œil dans la lunette ou le télescope et basta, l’affaire était pliée ! Si l’objet apparaissait nébuleux, c’était une comète. S’il était ponctuel, ne se distinguant des étoiles du champ que par son déplacement, c’était un astéroïde.

 

La situation s’est maintenant compliquée avec la découverte dans le Système solaire de nombreux petits corps dont les propriétés sont moins tranchées et qui échappent à cette classification désormais trop simpliste… Certains astéroïdes se sont mis à manifester une activité cométaire (on parle d’activité cométaire dès qu’une faible atmosphère se développe autour du noyau solide d’un petit corps du Système solaire). Inversement, certaines comètes ont cessé toute activité, devenant des cailloux stériles. Toute une classe d’objets intermédiaires s’est ainsi révélée, si bien que l’on parle même d’un continuum entre comètes et astéroïdes.

On s’accorde à penser qu’une comète est par nature un corps actif (ou susceptible de le devenir), dont l’activité est un mécanisme gouverné par la sublimation de ses glaces. Mais comment savoir, lorsque l’objet est trop faible pour que des observations spectroscopiques soient possibles, si des glaces sont présentes ou non ?

 

Des comètes qui s’épuisent, d’autres qui se réveillent

L’activité d’une comète est due à la sublimation de ses glaces lorsqu’elle s’approche du Soleil. La sublimation ne devient efficace qu’à moins de 5 unités astronomiques (1 UA = 150 millions de kilomètres) pour la glace d’eau. Plus loin, pour les glaces plus volatiles comme celles de CO ou CO2. Tout corps glacé est donc une comète putative. Mais comment le sait-on lorsque l’on a affaire à un corps trop lointain pour être actif ? Ou que la glace qu’il contient est isolée par une couche protectrice à la surface ? Là réside toute l’ambiguïté de la situation.

On connaît de nombreuses comètes à courte période qui ont cessé toute activité. Certaines se sont désintégrées, comme 3D/Biela dont on a observé le noyau dédoublé à ses retours de 1846 et 1852, puis plus rien aux retours suivants. D’autres ont pu épuiser leurs glaces. Ou construire une croûte protectrice de poussière à leur surface, les isolant du chauffage solaire et les protégeant de la sublimation.

Tout cela pose des questions de nomenclature : doit-on appeler ces objets des comètes ou des astéroïdes ? L’Union astronomique internationale (UAI) s’est emparée de ce problème et a reclassé certains astéroïdes en comètes, et vice versa (lire l’encadré 1). Le cas des comètes disparues est différent. On adjoint au nom des comètes totalement disparues le préfixe « D/ », comme nous l’avons vu pour 3D/Biela. Est-ce pour « dead », « defunct », « disappeared » ou « dismissed » en anglais, « disparue », « défunte », « défaite » en français ? les avis divergent. Mais les noyaux inactifs de certaines comètes éteintes peuvent être encore observables et nous apparaître tels des astéroïdes. C’est le cas de 49P/Arend-Rigaux ou 28P/Neujmin 1, qui n’apparaissent plus que comme des objets ponctuels ou, pour les retours les plus favorables, ne montrent qu’une très faible activité.

Mais le « D/ » pourrait aussi vouloir dire « dormante », car de telles comètes peuvent se réveiller ! C’est le cas de D/1783 W1 (Pigott) et de D/1819 W1 (Blanpain), qui ont perdu leur « D » et sont maintenant nommées 226P/Pigott-LINEAR-Kowalski et 289P/Blanpain. Ces résurgences peuvent être dues à l’amélioration des moyens d’observation qui, désormais plus sensibles, peuvent révéler une faible activité jusqu’alors passée inaperçue. Mais aussi à un réel regain d’activité, si par hasard la croûte protectrice vole en éclats. Les causes peuvent être diverses : pression d’une poche de gaz interne ; collision avec un autre petit corps ; changement d’orbite à la suite d’une perturbation gravitationnelle.

Des objets qui changent d’état civil

Les règles de nomenclature établies par l’Union astronomique internationale (UAI) diffèrent pour les comètes et les astéroïdes. L’ambiguïté de la classification de certains petits corps a donc posé des problèmes que l’UAI s’est efforcée de résoudre au cas par cas. Pour faire simple, le plus souvent, on conserve le nom de l’objet en n’en changeant que le préfixe. Ainsi, lorsqu’un astéroïde devient actif, on lui ajoute le préfixe « P/ » des comètes à courte période. Certains objets ont le privilège de posséder officiellement une double désignation. Ainsi, Chiron (fig. 1), découvert en 1977, est un corps de 166 km de diamètre qui gravite entre 8 et 18 UA du Soleil. C’est un Centaure – c’est ainsi que l’on désigne cette classe d’astéroïdes ayant ce genre d’orbites. Il a initialement été dûment immatriculé comme un astéroïde, (2060) Chiron. Mais en 1988, on lui a découvert une activité cométaire : augmentation de magnitude et queue. Il a alors acquis son autre désignation, la comète 96P/Chiron. Un autre Centaure actif possède également cette double identité : (60558) Echeclus, alias 174P/Echeclus. Non répertoriée comme astéroïde, la comète atypique 29P/Schwassmann-Wachmann 1 est cependant classée comme Centaure. Avec un noyau d’une soixantaine de kilomètres de diamètre, elle gravite sur une orbite quasi circulaire à 5 UA du Soleil, à peine plus loin que Jupiter, et présente des sursauts d’activité d’origine inexpliquée. Elle dégaze du monoxyde de carbone, mais aussi de l’eau qui pourrait provenir de la sublimation de grains glacés présents dans la chevelure plutôt que du noyau. L’UAI a prévu le préfixe « A/ » pour renommer un objet désigné par erreur comme comète et qui se révèle être un astéroïde. Mais ce préfixe semble avoir été très peu employé. Il a été momentanément utilisé pour le premier objet interstellaire, d’abord nommé comme comète C/2017 U1, puis reclassé comme astéroïde A/2017 U1 lorsque l’on s’est rendu compte qu’il ne manifestait aucune activité cométaire, et finalement renommé 1I/’Oumuamua lorsque l’UAI a décidé d’introduire le préfixe « I/ » pour cette nouvelle classe d’objets interstellaires (qu’ils soient comètes ou astéroïdes).

1. Le Centaure Chiron observé le 26 janvier 1996 au télescope de 2,2 m de l’eso montre une faible queue. (D’après Rauer et al., 1997, PASS, 45, 799.)

 

Des astéroïdes actifs

Les comètes de la ceinture principale

Les astéroïdes de la ceinture principale gravitent entre les orbites de Mars et Jupiter, soit entre 1,7 et 3,5 UA du Soleil. Un petit nombre seulement – environ 500 000 tout de même ! – ont été recensés.

Parmi eux figure l’astéroïde 1979 OW7, numéroté (7968). Mais en 1996, Eric Elst et Guido Pizarro redécouvrent cet objet sur une photo prise à l’Eso où il montre clairement une queue. Il a donc été rebaptisé 133P/Elst-Pizarro. C’était la première découverte d’une comète de la ceinture principale (fig. 2). D’autres ont suivi. On en connaît maintenant une bonne douzaine (Jewitt et al., 2015 ; Snodgrass et al., 2017). Ces objets sont indifféremment désignés « astéroïdes actifs » ou « comètes de la ceinture principale », ce qui illustre bien leur dualité. Certains ont conservé leurs deux nomenclatures d’astéroïde et de comète.

L’activité de ces corps peut avoir plusieurs explications (lire l’encadré 2). Ce peut être une activité cométaire réelle due à la présence d’une (faible) quantité de glaces. On note que la fameuse « ligne des glaces », en deçà de laquelle l’eau ne peut pas être accrétée sous forme de glace lors de la formation des petits corps, est vers 3 UA, au milieu de la ceinture principale (en remarquant que cette valeur a pu évoluer au cours de l’histoire du Système solaire). Certains astéroïdes ont donc pu conserver une certaine quantité de glace. Leur activité est alors récurrente et elle est liée aux passages successifs au périhélie (bien que l’excentricité des orbites de ces corps soit faible). Cependant, les recherches de gaz (eau, monoxyde de carbone ou radical CN) ont jusqu’à présent été infructueuses, la productivité de ces objets étant très faible.

2. La comète de la ceinture principale 133P/elst-Pizarro. (© ESO)

 

Une petite comète, comme 67P/Churyumov-Gerasimenko, produisait à son périhélie 10^28 molécules d’eau par seconde (soit 300 kg par seconde). Pour une grosse comète comme Hale-Bopp, c’était 10^31 molécules d’eau par seconde (300 tonnes par seconde). Les comètes de la ceinture principale, bien moins actives, échappent aux possibilités observationnelles actuelles qui ne permettent pas de détecter des productions de gaz inférieures à quelque 10^25 molécules par seconde (le kilogramme par seconde).

Pour certains objets, l’activité ne semble pas due à la sublimation de glaces, mais être le résultat d’une collision dispersant le régolithe de l’objet. L’activité est alors bien évidemment ponctuelle et la queue formée se détache de l’objet. Ce fut le cas de l’objet P/2010 A2 (LINEAR) = 354P/LINEAR pour lequel D. Jewitt et ses collègues ont suivi l’évolution de la queue de poussières (fig. 3). On a pu estimer que le responsable de la collision était un corps de taille métrique frappant l’astéroïde à une vitesse d’environ 5 km/s. L’événement qui a rendu actif P/2016 G1 (PANSTARRS) en mars 2016, comme l’ont observé O. Hainaut et son équipe, a été sans doute encore plus catastrophique, puisqu’il a conduit à la dislocation, et probablement la destruction totale, de l’astéroïde.

Et qu’en est-il des gros corps de la ceinture principale ? (1) Cérès, planète naine de 950 km de diamètre de la ceinture principale que personne ne songerait à classer comme comète, est actif et éjecte de l’eau, comme l’a observé en 2014 le satellite submillimétrique Herschel. (24) Thémis, un gros astéroïde de 200 km, présente de la glace d’eau à sa surface, sans qu’une activité notable ait été observée.

3. L’objet P/2010 A2 (LineAr) = 354P/LineAr présente une queue de poussières due à une collision plutôt qu’à une activité cométaire. (Nasa/Esa/HST)

L’activation des astéroïdes

Plusieurs mécanismes peuvent être responsables de l’activité d’un astéroïde. Ils peuvent jouer concurremment. La sublimation des glaces. Pour avoir accrété des glaces, le petit corps doit s’être formé à l’extérieur de la ligne des glaces, soit à plus de 3 UA du Soleil pour la glace d’eau.

  • La sublimation n’est efficace que près du Soleil (à moins de 5 UA). Le petit corps mérite alors d’être considéré comme une comète.
  • Une collision. Cette collision peut disperser une partie du régolithe de surface, ou même conduire à la dislocation totale du petit corps.
  • La rotation rapide du noyau. Le régolithe est éjecté si la force centrifuge excède la force de gravité. Pour un corps sphérique sans cohésion de masse volumique 1 000 kg/m3, cela se passe à l’équateur lorsque la période de rotation est inférieure à 3,3 h.
  • Des effets électrostatiques. Le plasma du vent solaire peut charger électriquement la surface du petit corps, conduisant au soulèvement des plus petites particules du régolithe.
  • Une fracturation due à un choc thermique. Des variations de température de grande amplitude se produisent entre le jour et la nuit lors de la rotation du noyau, pouvant fragmenter la couche de surface.
  • Une fracturation due aux forces de marée. C’est ce qui est arrivé à D/1993 F2 (Shoemaker-Levy 9) après avoir frôlé Jupiter.

Le cas de la « comète » Shoemaker-Levy 9

Autre objet exotique, D/1993 F2 (Shoemaker-Levy 9), cet objet qui a percuté Jupiter en juillet 1994. Avant sa découverte et sa mise en orbite autour de Jupiter, il était ignoré et probablement inactif. C’est à la suite d’un premier passage près de Jupiter, à seulement 1,3 rayon du centre de la planète le 7 juillet 1992, que le corps parent s’est fragmenté en une vingtaine de morceaux sous l’influence des forces de marée, donnant naissance à cet extraordinaire chapelet de petites comètes alignées, chacune dotée de sa propre queue (fig. 4). Mais le corps initial était-il une comète ou un simple astéroïde, les queues accompagnant les fragments étant de la poussière échappée lors de la fragmentation ? Aucune trace de gaz n’a pu être détectée autour de ces fragments. Du gaz (de l’eau) a bien été observé dans les taches d’impact après la collision avec Jupiter, mais il pourrait provenir de l’atmosphère de la planète. Le doute subsiste.

4. Les forces de marée ont fait éclater la comète (?) après son passage près de Jupiter, juste avant sa chute sur la planète. (Nasa)

 

Des astéroïdes sur des orbites cométaires

(3200) Phaethon est un astéroïde sur une orbite cométaire ! Une orbite très excentrique qui l’entraîne de 0,14 à 2,40 UA avec une période de 1,43 an. Il n’a pas d’activité cométaire stricto sensu, car il ne montre pas de coma. Mais il perd des poussières, car il génère une traînée météoritique qui est à l’origine de l’essaim des Géminides qui nous frappe à la mi-décembre. Une activité due à la sublimation de glaces semble être exclue, ces dernières ayant probablement été épuisées par les passages successifs près du Soleil. Il faut plutôt envisager une dissociation thermique due au chauffage par le Soleil et au fort gradient thermique qui en résulte, provoquant fracturation et dislocation.

C/2014 S3 (PANSTARRS) est une comète atypique qui présente un bel exemple de migration dans le Système solaire. Son orbite, rétrograde avec une période de 860 ans, est typique des comètes provenant du nuage de Oort. Elle est très peu active et sans queue. La couleur de son noyau est similaire à celle des astéroïdes rocheux. Selon K. Meech et ses collaborateurs, il semble que ce corps se soit formé dans la région interne du Système solaire parmi la cohorte des astéroïdes. Mais il a été éjecté dans le nuage de Oort. Il a cependant conservé une petite quantité de glaces qui lui permet de conserver une faible activité lorsqu’il nous revient vers son périhélie, à 2,05 UA du Soleil.

D’autres astéroïdes ou comètes éteintes ayant des orbites typiques des comètes à longue période ont été identifiés. Ce sont les Damocloïdes (du nom de l’astéroïde (5335) Damocles qui appartient à cette famille).

 

En y regardant de plus près avec les sondes spatiales

Les astéroïdes géocroiseurs de la famille Apollo sont les plus faciles à atteindre et sont des cibles privilégiées pour des missions spatiales avec retour d’échantillon. C’est le cas pour deux petits objets en cours d’exploration : (162173) Ryugu avec Hayabusa2, une mission de l’agence japonaise Jaxa, et (101955) Bennu avec OSIRIS-Rex, une mission de la Nasa (fig. 5a). Les nouvelles du déroulement de ces missions ont été relatées dans l’Astronomie. Les tailles respectives des astéroïdes Ryugu et Bennu sont de 865 m et 490 m, et leurs images sont similaires, montrant qu’ils sont des agrégats de débris, avec un renflement caractéristique à l’équateur.

La surprise est venue de Bennu, qui manifeste une activité surprenante. À plusieurs reprises, des éjections par bouffées de centaines de particules ont été observées par la caméra de navigation de la sonde OSIRIS-Rex (fig. 5b) [Lauretta et al., 2019]. La taille de ces particules va de quelques millimètres jusqu’à dix centimètres. Leur vitesse est de quelques centimètres à quelques mètres par seconde ; certaines s’échappent, d’autres retombent à la surface. Ce phénomène inattendu a causé quelque inquiétude pour la sécurité de la sonde.

5. A – L’astéroïde (101955) Bennu, ici observé par la sonde OSIRIS-Rex, est un agrégat de débris d’une taille de 490 m. (NASA) 

 

Lauretta et ses collaborateurs ont examiné les mécanismes qui pourraient être responsables de l’éjection de ces particules, mais ne les ont pas pleinement élucidés. Bennu ne semble pas contenir de glaces, ce qui exclut une activité de type cométaire. Bien que la rotation de Bennu soit rapide (sa période est de 4,30 h) et sa masse volumique faible (seulement 1 190 kg/m3), la dispersion du régolithe par la force centrifuge n’est pas possible ; il faudrait en effet une période de rotation de moins de 3 h pour éjecter des particules de la région équatoriale, d’où, d’ailleurs, elles ne semblent par provenir.

5. B – La caméra de la sonde OSIRIS-Rex a observé à plusieurs reprises l’éjection de particules de taille centimétrique de la surface de l’astéroïde Bennu alors qu’il était à 0,9UA du soleil. ils apparaissent comme des points brillants sur cette image obtenue le 6 janvier 2019. (NASA/Goddard/University of Arizona/Lockheed Martin)

 

La détermination des trajectoires des particules nous donne un indice important en montrant qu’elles proviennent de la région après-midi de la surface de Bennu. C’est la région qui, alternativement chauffée par le Soleil puis refroidie suivant le cycle jour-nuit, atteint la température la plus élevée et subit des variations thermiques d’une grande amplitude pouvant atteindre 150 °C. Ce choc thermique est suffisant pour craqueler le matériau de surface et en libérer des fragments, comme cela a été expérimenté en laboratoire sur certaines météorites. L’analyse spectroscopique de Bennu montre que sa surface contient des phyllosilicates (des argiles). Ces composés sont riches en eau qu’ils peuvent relâcher s’ils sont suffisamment chauffés. Peut-être est-ce là une source du gaz pouvant entraîner les particules. Il est également possible que les particules soient éjectées par des chocs de micrométéorites. Le sens de rotation de l’astéroïde étant rétrograde, la région après-midi, qui va de l’avant sur l’orbite, est en effet exposée à un flux plus intense de météorites.

Un paramètre utile pour la classification

Le paramètre de Tisserand – Un paramètre utile pour la classification des petits corps est le paramètre TJ introduit par l’astronome Félix Tisserand (1845-1896), dérivé des éléments orbitaux :

où aJ est le demi-grand axe de l’orbite de Jupiter (5,2 UA), a celui de la comète, e son excentricité et i son inclinaison. Ce paramètre a la particularité d’être invariant lors d’une interaction gravitationnelle avec Jupiter. Il permet de distinguer, suivant leur orbite, les comètes de la famille de Jupiter et les autres, de séparer les comètes de la famille de Jupiter des astéroïdes de la ceinture principale. Les comètes de la famille de Jupiter ont 2 < TJ < 3 alors que les comètes à longue période ou de la famille de Halley ont TJ < 2 et les astéroïdes, TJ > 3 (fig. 6).

6. La classification des petits corps proposée par David Jewitt. elle est fondée sur leur activité (présence ou non d’une coma) et sur le paramètre de tisserand TJ.

 

Deux paramètres importants, mais élusifs

Des tentatives objectives de classification ont été faites (lire l’encadré 3). Elles sont basées sur l’activité de ces petits corps et sur le paramètre de Tisserand qui quantifie leur interaction avec Jupiter. Mais d’autres paramètres pourraient être considérés.

Quelle est la proportion de glaces et de roches dans ces corps ? Cela pourrait nous renseigner sur la nature de leur activité en distinguant petits corps « secs » et petits corps « humides ». En l’absence d’un diagnostic effectué à partir d’une analyse in situ (voir plus loin), il faut se résigner à étudier les matières éjectées lors de l’activité de ces corps. Pour les comètes traditionnelles, on évalue le rapport « gaz-sur-poussières » observé dans la coma. Le gaz se mesure avec précision en estimant les taux de production des différentes molécules par spectroscopie lorsque la comète est brillante. La production de poussières s’estime à partir des mesures photométriques de la chevelure, mais ces mesures ne sont sensibles qu’aux particules de poussières de petite taille ; les particules de grosse taille ne sont accessibles que par des observations radio ou radar, plus délicates à mettre en œuvre. Pour les objets faiblement actifs qui nous intéressent ici, le paramètre « gaz-sur-poussières » nous échappe le plus souvent. Et il faut préciser que les matières éjectées peuvent être fort différentes des matières restant dans le noyau. Ce paramètre est donc peu utilisable à l’heure actuelle.

La masse volumique pourrait encore jouer un rôle important dans la classification de ces objets, en distinguant les objets riches en glaces, peu denses, des objets riches en roches. Mais elle est difficile à mesurer. Elle n’est connue avec précision que pour deux comètes. Pour 9P/Tempel 1, la trajectoire des éjecta soulevés à la suite de l’impact de Deep Impact a permis de déterminer sa masse. La masse volumique est 350 kg/m3. Pour 67P/Churyumov-Gerasimenko, la masse a été mesurée à partir de l’orbitographie de la sonde Rosetta et conduit à une masse volumique de 530 kg/m3. Aucun astéroïde n’a une masse volumique aussi faible. Les moins denses sont les astéroïdes récemment explorés (101955) Bennu et (162173) Ryugu avec des masses volumiques d’environ 1 200 kg/m3 ; toutefois, des masses volumiques pouvant aller jusqu’à 3 500 kg/m3 s’observent pour les astéroïdes massifs avec cœur métallique.

 

Le témoignage des météorites ?

Les météorites de type chondrites carbonées sont parfois présentées comme étant des morceaux de noyaux cométaires. Ce serait une aubaine : plus besoin de se rendre sur place ! L’exemple le plus célèbre est la mythique météorite d’Orgueil (Gounelle & Zolensky, 2014). Sa masse volumique de 1 580 kg/m3 en fait l’une des météorites les moins denses connues.

De l’eau au moulin de cette hypothèse a été apportée par l’analyse de l’orbite du bolide qui avait accompagné la chute d’Orgueil le 14 mai 1864. Une étude récente basée sur des observations et témoignages recueillis par Aimé Laussédat juste après l’événement place le corps parent sur une orbite typiquement cométaire avec un aphélie au-delà de Jupiter. Vers 1850, l’astronome toulousain Frédéric Petit avait tenté d’établir les orbites de quelques bolides. Il pensait avoir ainsi découvert parmi eux un deuxième satellite de la Terre (ce qui a été mis en scène par Jules Verne dans Autour de la Lune). Les communications de Frédéric Petit ont été accueillies par les ricanements des académiciens (orchestrés par Le Verrier). De telles études sont cependant moins fiables que les observations systématiques faites actuellement par les caméras du réseau FRIPON.

Mais si Orgueil est réellement un morceau de noyau cométaire, comment réconcilier sa masse volumique avec celle bien plus faible des noyaux de 9P et 67P ? La disparition des éventuelles glaces cométaires de la météorite aurait dû causer une baisse de la masse volumique et une augmentation de la porosité. On peut arguer que l’extrême fragilité des noyaux cométaires n’a pas permis leur survie lors de la traversée de l’atmosphère, et que seuls les fragments les plus denses nous parviennent. Déjà, les fragments d’Orgueil qui nous sont parvenus sont fragiles : on constate leur altération au cours du temps en examinant les morceaux qui nous sont montrés lors des expositions : entourés de dépôts, ils tombent littéralement en poussière malgré les soins pris pour leur conservation (fig. 7).

7. Un fragment de la météorite d’orgueil exposé sous sa cloche. sa taille est d’environ 20 cm. on remarque les débris tombés autour de la météorite, témoignant de sa fragilité dans l’environnement terrestre.

 

Pour en savoir plus :

Une analyse en laboratoire

Comment en savoir plus ? En analysant la matière du noyau cométaire ou de l’astéroïde, si possible prélevée en profondeur. Cela nous permettrait de comprendre la nature du mélange glaces-poussières.

Cela peut se faire par un appareillage robotisé envoyé sur place. Philae, l’atterrisseur de Rosetta, était équipé pour le faire avec une foreuse. Le carottage envisagé devait se faire à une profondeur de 23 cm avec l’instrument SD2, les échantillons étant ensuite analysés avec les spectromètres de masse et les chromatographes des instruments COSAC et PTOLEMY. Mais mal positionné, Philae n’a pu effectuer le prélèvement prévu.

Une autre possibilité est le retour d’échantillons pour analyse avec les moyens sophistiqués des laboratoires terrestres. Ce retour doit se faire dans des conteneurs réfrigérés pour préserver les glaces (ce que ne permettent pas les missions en cours vers les astéroïdes). C’était déjà l’objectif de CESR (Comet Exploration Sample Return, 1986), version primitive de Rosetta, vite abandonnée en raison des difficultés techniques. Puis de Triple-F (Fresh From Fridge, Esa, 2009) et CAESAR (Comet Astrobiology Exploration Sample Return, Nasa, 2017), qui ont également été écartées. Maintenant Ambition, mission vers une comète de la famille de Jupiter, est proposée dans le cadre des projets à long terme « Voyage 2050 » de l’Esa (Bockelée-Morvan et al., 2019).

 

Faut-il une nouvelle définition pour comètes et astéroïdes ?

Il faut reconnaître que les règles rigides de nomenclature des comètes et des astéroïdes, qui diffèrent pour les deux classes d’objets, aboutissent à une situation bancale pour les objets intermédiaires, ce qui a amené l’UAI à adopter des aménagements. Faut-il revoir fondamentalement la nomenclature de ces objets, ce qui entraînerait le changement de nom de centaines, voire de milliers d’objets ? Une belle pagaille en perspective !

On se souvient des débats passionnés qui ont suivi la définition des planètes, planètes naines et astéroïdes à l’initiative de l’Union astronomique internationale en 2006. Nul doute que si l’UAI s’aventurait à vouloir formaliser la distinction entre comètes et astéroïdes, des débats non moins passionnés s’ensuivraient. Mais est-ce bien nécessaire ? Pour les astronomes, tous ces objets sont des petits corps, chacun ayant sa spécificité, et tout le monde s’y retrouve ! Toute classification, obligatoirement basée sur les connaissances et les techniques de son époque, est condamnée à être remise en cause. Botanistes et zoologues le savent bien, qui ont vu leurs belles classifications du passé totalement chamboulées par la révolution apportée par les analyses de l’ADN ! Et classification n’est pas explication : nous avons vu que des objets actifs d’une même classe pouvaient avoir leur activité causée par des mécanismes différents.

Par Jacques CROVISIER | Observatoire de Paris

 

 

Article publié dans l’Astronomie n°136, Mars 2020

 

Bibliographie

Bockelée-Morvan et al., « AMBITION – Comet Nucleus Cryogenic Sample Return », 2019, White paper for ESA’s Voyage 2050 programme. https://arxiv.org/abs/1907.11081

Gounelle & M. E. Zolensky, « The Orgueil meteorite: 150 years of history », 2014, Meteoritics & Planetary Science, 49, 1769-1794. https://onlinelibrary.wiley.com/doi/epdf/10.1111/maps.12351

Jewitt, H. Hsieh & J. Agarwal, « The active asteroids », 2015, in P. Michel, F. DeMeo & W. Bottke, Asteroids IV, Univ. Arizona Press, Tucson, 221-241. https://arxiv.org/pdf/1502.02361

D. S. Lauretta, C. W. Hergenrother et al., « Episodes of particle ejection from the surface of the active asteroid (101955) Bennu », 2019, Science, 366, eaay3544. https://science.sciencemag.org/content/366/6470/eaay3544

Snodgrass et al., « The Main Belt comets and ice in the Solar System », 2017, Astron. Astrophys. Rev., 25:5. https://arxiv.org/pdf/1709.05549

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