Une équipe internationale comprenant des astronomes amateurs français pense avoir détecté la signature d’une collision entre deux planètes autour d’une très jeune étoile de type solaire.
L’éclipse d’ASASSN21qj
2MASSJ08152329-3859234, une très jeune étoile (300 millions d’années) de type solaire située à 1 850 années-lumière de la Terre, aurait très bien pu rester dans l’anonymat si, en décembre 2021, on ne s’était pas aperçu que sa luminosité avait subitement chuté. Cet événement a bien entendu attiré l’attention des astronomes qui ont suivi l’évolution ultérieure de cette luminosité dans les domaines optique et infrarouge, et se sont penchés sur l’historique de ces émissions. Grâce aux observations du télescope LCOGT (Las Cumbres Observatory Global Telescope Network) et du satellite Wise (Wide-field Infrared Survey Explorer), une équipe internationale a pu ainsi établir que dans le domaine optique 2MASSJ08152329-3859234, rebaptisée ASASSN21qj, s’était assombrie pendant environ 500 jours à compter de mai 2020, et que cette éclipse optique s’était accompagnée d’une augmentation de la luminosité dans l’infrarouge ayant débuté, quant à elle, 2,5 ans plus tôt (fig. 1). Notons au passage qu’un groupe d’astronomes amateurs français a joué un rôle important dans la caractérisation d’ASASSN21qj (voir encadré). Même si l’on ne peut pas l’exclure complètement, il est très improbable que les signaux optique et infrarouge observés par les astronomes soient les signatures de deux phénomènes indépendants mais quasiment simultanés, d’autant plus qu’individuellement, les processus qui pourraient expliquer ces signaux sont eux-mêmes peu probables. Matthew Kenworthy, chercheur à l’université de Leyde, et ses collègues pensent que ces observations sont au contraire la conséquence d’un événement unique et jusqu’à présent jamais observé : la collision entre deux planètes [1].
Collision et synestia
Le scénario proposé par les astronomes est le suivant (fig. 2). Environ 2,5 ans avant l’éclipse d’ASASSN21qj (en fait, si l’on tient compte de la distance de cette étoile, il y a environ 2 000 ans), deux planètes de ce système seraient entrées en collision. L’énergie libérée lors de cet événement aurait permis de vaporiser une grande partie de ces planètes et de former un énorme nuage de poussières et de gaz. Selon certains chercheurs, les impacts géants pourraient, si l’énergie libérée est suffisante, conduire à la formation d’un nouveau type d’objet appelé synestia (voir encadré), c’est-à-dire un mélange de débris rocheux, de poussières et de gaz ayant globalement la forme d’un tore et connecté, en son centre, au noyau de la planète impactée. Ce nuage (ou, le cas échéant, cette synestia) peut atteindre plusieurs rayons solaires dans sa plus grande dimension. En se refroidissant, il émet un rayonnement infrarouge qui s’additionne à celui de l’étoile hôte et dont la longueur d’onde dépend de la température à la surface (la photosphère) du nuage. Voilà qui explique le regain de luminosité dans l’infrarouge observé à partir de mai 2020. Après sa formation, ce nuage se déplace sur une orbite qui l’amène à croiser la ligne de visée entre ASASSN21qj et la Terre, ce qui a pour effet de masquer temporairement cette étoile. Voilà qui explique la longue éclipse observée entre mi-2020 et début 2022. Notons au passage que le nuage n’étant pas rigide, il subit, lors de son trajet orbital, une expansion liée au fait que la vitesse orbitale n’est pas exactement la même en chacun de ses points.
Les astronomes ont pu glaner d’autres informations intéressantes. En particulier, le délai entre l’accroissement du rayonnement infrarouge et l’éclipse optique permet d’estimer à quelle distance de l’étoile hôte la collision s’est produite. Cette distance serait ainsi comprise entre 2 et 16 unités astronomiques. Enfin, l’analyse du rayonnement infrarouge indique que la température de la photosphère du nuage de débris est de l’ordre de 1 000 K, signe que la quantité d’énergie libérée lors de l’impact fut très élevée. Selon les auteurs de l’étude, elle correspondrait à la collision entre deux planètes relativement massives, par exemple une super-Terre et une mini-Neptune. Des simulations numériques de collision entre des planètes de ce type (fig. 3) viennent confirmer cette hypothèse.
Pour interpréter le plus finement possible les signaux reçus d’une étoile (ici les variations de luminosité optique et infrarouge d’ASASSN21qj), il est important de savoir à quel type d’étoile on a affaire. Les astronomes avaient de bonnes raisons de penser qu’ASASSN21qj était une étoile de type solaire. Les spectres mesurés par une équipe d’astronomes amateurs français de l’association 2SPOT (Stéphane Charbonnel, Olivier Garde, Pascal Le Dû, Lionel Mulato et Thomas Petit), coauteurs de l’étude publiée dans la revue Nature, ont permis de confirmer cette hypothèse. Ces spectres montrent en effet des raies d’absorption caractéristiques de notre Soleil. Ils ont été obtenus grâce à l’observatoire automatisé mis en place au Chili (sur le site Deep Sky Chile, DSC) par 2SPOT. Cet observatoire est dédié à l’acquisition de données spectrales et se compose de deux télescopes (de type Ritchey-Chrétien et Newton, respectivement) équipés de spectrographes à moyenne (eShel) et basse (Alpy 600) résolutions. Il a notamment pour mission de répondre de façon réactive aux requêtes de professionnels nécessitant des données dans le cadre de leurs travaux. Ainsi, c’est à la demande d’un autre astronome amateur, Hamish Baker (également cosignataire de l’article de Nature), que l’équipe de 2SPOT a réalisé le spectre d’ASASSN21qj (figure ci-contre) dans la nuit du 6 au 7 septembre 2022. Un bel exemple de collaboration professionnels-amateurs.
Chaos planétaire ?
Les modèles de formation et d’évolution planétaires développés au cours des dernières décennies font une large place aux collisions entre petites planètes. Selon ces modèles, les impacts entre objets de la taille de Mars constitueraient la phase finale de la formation des planètes telluriques dont, bien évidemment, la Terre. Ces mêmes modèles, ainsi que l’étude des disques protoplanétaires suggèrent que cette phase se produit dans un laps de temps inférieur à 100 millions d’années (Ma), estimation confortée par l’âge de la collision entre la proto-Terre et Théia (4,47 milliards d’années, Ga, soit un peu moins de 100 Ma après la naissance du Système solaire), qui a abouti au système Terre-Lune. Or, le système d’ASASSN21qj semble avoir déjà quitté cette phase finale puisque son âge (déduit de mesures de la période de rotation de l’étoile hôte) est estimé à 300 Ma. De plus, comme on l’a vu, l’analyse du rayonnement infrarouge plaide en faveur d’une collision entre planètes massives, et non entre petites planètes de la taille de Mars.
D’où l’hypothèse que cette collision est liée à un autre épisode de l’évolution des systèmes planétaires, correspondant, dans le cas du Système solaire, au Grand Bombardement tardif. Ce dernier, qui s’étendit de 4,1 à 3,8 Ga, se définit par la survenue d’un grand nombre de collisions entre des petits objets semblables aux astéroïdes et les planètes rocheuses. Il aurait pour cause les migrations (vers l’extérieur du Système solaire) des planètes géantes, migrations qui, par le jeu de perturbations gravitationnelles, auraient projeté vers le Système solaire interne un nombre élevé d’objets initialement situés dans la ceinture de Kuiper, au-delà de l’orbite de Neptune. Un phénomène similaire, mais de plus grande ampleur pourrait actuellement être à l’œuvre dans le système d’ASASSN21qj. Les perturbations gravitationnelles y seraient suffisantes pour provoquer une situation chaotique, déstabilisant les trajectoires des planètes existantes (et pas seulement celles des petits objets du disque de débris) et entraînant des collisions entre ces planètes. Par chance, cela ne semble pas s’être produit dans le Système solaire…
Les scientifiques se tournent désormais vers une étude plus approfondie d’ASASSN21qj et de son système. Ils espèrent notamment obtenir des informations sur l’architecture de ce système stellaire, ainsi que sur le nuage d’éjectats formé par la collision. Cette dernière tâche est à portée du JWST. Bien sûr, il se peut que ces éjectats se soient déjà dissipés et qu’il n’y ait plus rien ou très peu de choses à observer. Toutefois, même ce cas de figure est intéressant, car il permettra d’estimer une l’échelle de temps pour l’évolution des collisions planétaires, laquelle sera utile pour tester ou affiner les modèles de collisions actuels.
En 2017, Simon Lock et Sarah Stewart ont montré que, sous certaines conditions, les impacts géants pouvaient conduire à la formation d’un nouveau type d’objet, qu’ils ont baptisé synestia. Ce type d’objet est formé d’un noyau solide, à partir duquel une nouvelle planète se formera, connecté à un tore de poussières et de roches vaporisées qui, en se refroidissant, pourra donner naissance à un satellite (figure ci-dessous). Détail clé, le noyau est animé de rotation rigide tandis que le tore de poussière, lui, se déplace autour de ce noyau avec des vitesses orbitales (ou képlériennes, c’est-à-dire que la vitesse de rotation autour du noyau est calculée par les équations de Kepler). La température d’une synestia est particulièrement élevée, et peut atteindre, en surface, un millier de degrés ou plus. Par ailleurs, cette surface émet un fort rayonnement dans l’infrarouge. La formation d’une synestia terrestre, suite à un impact entre une petite planète de la taille de Mars et la proto-Terre, ainsi que son évolution ont été décrites en 2018, également par Simon Lock et Sarah Stewart. Dans ce cas précis, le refroidissement de la synestia explique assez naturellement la formation d’un gros satellite (la Lune) par condensation du matériau vaporisé et migration de ce condensat vers le plan équatorial. Dans sa version actuelle, la synestia terrestre comporte cependant un défaut majeur : une synestia a, par définition, un moment cinétique élevé, ce qui est difficile à réconcilier avec la valeur actuelle du moment cinétique du système Terre-Lune. Une synestia peut également se former après l’impact entre planètes plus massives, ce qui libère bien sûr de plus grandes quantités d’énergie. Selon Matthew Kenworthy et ses coauteurs, les variations de luminosité infrarouge et optique de l’étoile ASASSN21qj pourraient témoigner de la formation d’une synestia (ou d’un objet équivalent) suite à la collision entre une super-Terre et une mini-Neptune, puis au passage de cette synestia dans la ligne de visée entre la Terre et ASASSN21qj.
Par Frédéric Deschamps, IESAS, Taipei, Taïwan
Notes
- Kenworthy M. et al., « A planetary collision afterglow and transit of the resultant debris cloud », Nature, 617, 2023, 743-746, doi: 10.1038/s41586-023-05935-7.