LE MAGAZINE DES SCIENCES DE L’UNIVERS EN AFRIQUE

Sa vision du système solaire

 

Afin de célébrer le 90e anniversaire de sa mort, nous pouvons comparer les « prévisions » de Camille Flammarion et la réalité du Système solaire, tel qu’il nous est révélé par les différentes missions spatiales lancées depuis la fin du xxe siècle.

 

Camille Flammarion, né en 1842 et décédé le 3 juin 1925, aura été un vulgarisateur hors pair. Astronome passionné et passionnant, boulimique de savoir et doué d’un véritable talent littéraire, il mettra pour la première fois la lecture d’ouvrages d’astronomie à la portée du grand public, avec l’aide de son frère, le non moins célèbre éditeur Ernest Flammarion. C’est encore maintenant un vrai bonheur de se replonger dans la lecture des ouvrages majeurs comme l’Astronomie populaire ou bien Les Terres du ciel, ou encore dans les articles des premiers numéros de la revue L’Astronomie créée justement à l’initiative de Camille Flammarion. Lire l’Astronomie populaire, c’est redécouvrir l’étendue déjà incroyable des connaissances de l’époque, mais aussi mesurer l’immense bond en avant que l’Homme a accompli en à peine plus d’un siècle dans la connaissance des mondes qui nous entourent. 

La Terre et la Lune

Dans Les Terres du ciel, un ouvrage de 800 pages paru pour la première fois en 1877 puis réédité en 1884, Camille Flammarion dresse un bilan exhaustif des connaissances de l’époque sur les planètes du Système solaire et de leurs conditions d’habitabilité. Il est en effet convaincu que la vie foisonne dans l’Univers. Il n’y a, nous dit-il, qu’à regarder le contenu d’une goutte d’eau au microscope pour s’en convaincre (figure 1)… Après un rappel historique sur les observations de chaque planète et chaque satellite, Flammarion expose les conditions physiques régnant à leur surface, pour ensuite imaginer à quoi peut ressembler la vie sur ces autres « Terres ». 

De nombreuses gravures viennent agrémenter la lecture de ses ouvrages souvent volumineux. Que savions-nous de l’apparence globale de la Terre en 1884, à une époque où les aventuriers les plus intrépides (dont Flammarion lui-même) n’avaient guère pu dépasser quelques milliers de mètres d’altitude, en montant au péril de leur vie dans des ballons ? Seules des observations parcellaires, doublées de considérations physiques, permettaient de le dire… Il est alors bien surprenant de voir à quel point la Terre, photographiée pour la première fois dans son ensemble par les astronautes de la mission Apollo, ressemble effectivement à la gravure de la Terre reproduite par Camille Flammarion dans Les Terres du ciel (figure 2)…    

Au chapitre des Terres du ciel consacré à la Lune, on trouve une gravure montrant encore une fois la Terre, mais cette fois telle que des habitants « sélénites » pourraient la voir depuis le sol (figure 3). « On admire de la Lune un astre majestueux, que l’on ne voit pas de la Terre, dont le caractère spécial est de rester immobile dans le ciel, tandis que tous les autres passent derrière lui, et d’offrir les dimensions les plus grandioses. Cet astre, c’est notre propre Terre, près de quatre fois plus large en diamètre que la Lune, treize fois et demie plus étendue en surface et plus lumineuse, et qui offre à la Lune des phases correspondantes à celles que la Lune nous présente, mais en sens inverse ».  Il rajoute : « Monde mort en apparence, mais beau, silencieux, mais éloquent ; froid, mais lumineux… » Cette phrase prémonitoire fait écho aux premiers mots d’Armstrong et Aldrin, découvrant depuis le hublot de leur module lunaire au beau milieu de la mer de la Tranquillité ce qu’ils appelleront une « magnifique désolation ».

La planète Mars et ses satellites

Si certaines hypothèses peuvent maintenant nous paraître complètement obsolètes, comme la présence possible d’une vie intelligente sur Mars à l’origine d’un immense système de canaux d’irrigation (figure 4), il est frappant de voir la pertinence de certaines de ces gravures anciennes, qui résonnent comme un lointain écho aux fabuleuses images que nous rapportent nos missions spatiales actuelles.

La planète Mars revêt une importance toute particulière dans la vie et dans l’œuvre de Flammarion. Il lui consacrera 210 pages des Terres du ciel, puis les deux volumineux tomes La Planète Mars et ses conditions d’habitabilité, parus en 1892 et 1909. Quelle ne serait pas son excitation s’il pouvait participer avec nous à l’extraordinaire aventure des sondes en orbite et des rovers tels que Curiosity arpentant la surface de Mars !  Comme dans le cas de la Lune, Flammarion imagine : « Quel est l’aspect de l’Univers, vu de cette station voisine ? Les habitants de Mars n’habitent pas plus le ciel que nous, et nous l’habitons comme eux, ni plus ni moins. Comment voient-ils la Terre ? […] Les astronomes de cette planète peuvent observer la Terre parmi les constellations, comme nous observons Vénus. Ainsi, par exemple, les revues astronomiques de Mars ayant à annoncer à leurs lecteurs le mouvement de la planète Terre dans le ciel pendant l’année 1884, auront publié la figure précédente [fig. 5], que nous avons pu du reste calculer nous-même sans aller sur Mars. »

L’image de la Terre sur cette figure (fig. 5), qui montre la précision des prédictions astronomiques effectuées par Flammarion, la sonde américaine Mars Reconnaissance Orbiter l’a réalisée ! Belle confirmation de la prédiction…

Si la Terre apparaît au télescope comme un croissant dans le ciel, « vue de Mars, dès le coucher du Soleil, la Terre brille dans le ciel comme une étoile… ». Là encore, nos sondes spatiales actuelles, Spirit, Opportunity, puis Curiosity, vont immortaliser cette magnifique vue de la Terre dans le ciel de Mars. Curiosity parviendra même à distinguer la Lune, dans son cliché pris par la caméra Mastcam le 31 janvier 2014, alors que la Terre est située à 160 millions de kilomètres de Mars (fig. 6). La gravure de Flammarion représente une rivière au premier plan. Curiosity lui, ne verra qu’un désert aride, mais un désert qui a gardé les traces géologiques indiquant la présence dans un lointain passé de lacs alimentés par des rivières.

La figure 7 montre une autre comparaison entre une gravure des Terres du ciel et la photographie d’un coucher de Soleil prise par le rover Spirit le 10 février 2005.

Quels sont les phénomènes astronomiques que les astronomes de Mars peuvent observer ? Suite à la découverte des satellites de Mars Phobos et Deimos en 1877 par l’astronome Asaph Hall, Camille Flammarion imagine dans ses Terres du ciel à quoi peut ressembler une éclipse de Soleil sur Mars. Les calculs des tailles respectives (~6000 km pour Deimos et ~2000 km pour Phobos) et des distances à la planète sont remarquablement proches des vraies valeurs. Il nous dit : « Quelquefois on peut voir ces deux lunes, arrivant des deux parties opposées du ciel, s’avancer l’une vers l’autre, se rencontrer et s’éclipser partiellement ou totalement. D’où il résulte qu’indépendamment des éclipses de lune produites par le passage des satellites dans l’ombre de la planète, éclipses analogues à celles qui se présentent sur notre monde, il y a sur Mars des éclipses inconnues à la Terre : celles d’un satellite par l’autre, celles du second satellite par le premier. […] Ainsi Phobos peut éclipser totalement Deimos, et cela très facilement. Mais il ne peut jamais éclipser totalement le Soleil de Mars, dont le diamètre moyen est de 21 minutes. Lorsque la combinaison des mouvements célestes l’amène devant l’astre du jour, il peut se produire une éclipse annulaire du genre de celle qui est représentée ici [figure 8], à laquelle peut s’ajouter le passage du second satellite devant le Soleil, sous la forme d’un petit disque noir. »

Camille Flammarion aborde régulièrement les questions de société dans ses ouvrages, et n’hésite pas à s’enflammer : « Lorsque l’on songe aux progrès réalisés dans notre seul xixe siècle, chemin de fer, télégraphes, applications de l’électricité, photographie, téléphone, etc., on se demande quel serait notre éblouissement si nous pouvions voir d’ici les progrès matériels et sociaux que le vingtième, le vingt et unième siècle et leurs successeurs réservent à l’humanité de l’avenir. L’esprit le moins optimiste prévoit le jour où la navigation aérienne sera le mode ordinaire de circulation ; où les prétendues frontières des peuples seront effacées pour toujours ; où l’hydre infâme de la guerre et l’inqualifiable folie des armées permanentes seront anéanties devant l’essor glorieux de l’humanité pensante dans la lumière et dans la liberté ! » Eh bien, il nous reste encore un peu de chemin pour y parvenir… Puisse-t-il avoir un jour raison !

 

Légendes :

  1. La population d’une goutte d’eau représente tout un monde (Camille Flammartion,  Les Terres du ciel).
  2. À gauche : la « pleine Terre » vue de la Lune, d’après Flammarion. À droite : première photographie globale de la Terre, prise par les astronautes d’Apollo 17.
  3. ci-dessus : Phases de la Terre vue de la Lune, d’après Flammarion. à gauche : Lever de Terre photographié par la caméra HD de la sonde japonaise Kaguya en 2008.
  4. Les canaux de Mars.
  5. à gauche  : aspect de la Terre vue de Mars (juin 1884). à droite, le couple Terre-Lune photographié depuis l’orbite martienne par l’instrument HiRISE de la sonde Mars Reconnaissance Orbiter.
  6. ci-dessus  : Gravure des Terres du ciel : « Vue de Mars, dès le coucher du Soleil, la Terre brille dans le ciel comme une étoile… » Ci-dessous : La Terre, photographiée par le rover Curiosity dans le ciel de Mars, apparaît comme un point, double…
  7. à gauche : Le Soleil de minuit sur la planète Mars. à droite : Coucher de Soleil photographié par le rover Spirit. (NASA/JPL/Texas A&M/Cornell)
  8. ci-dessus : Une éclipse de Soleil par les deux lunes de Mars imaginée par Flammarion. en dessous : Une éclipse de Soleil par Phobos, observée par le rover Spirit le 10 février 2005. (NASA/JPL/Cornell)
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