LE MAGAZINE DES SCIENCES DE L’UNIVERS EN AFRIQUE

C’est le 5 décembre 2020 que la capsule contenant quelques grammes du sol de l’astéroïde Ryugu [1] est tombée dans le désert australien ; les analyses ont commencé très vite au laboratoire spatial de la Jaxa, l’agence spatiale japonaise. Il s’agit tout d’abord de procéder à une analyse non destructive des poussières collectées, donnant accès à des informations permettant une première caractérisation de l’astéroïde ; en fait, il y eut deux collectes, respectivement A et B, tout d’abord du sol de surface puis de la poussière du sous-sol, extraite à la suite d’un impact artificiel (l’Astronomie 131, octobre 2019). Il est ainsi possible de compléter et préciser les informations obtenues au cours du survol de Ryugu en 2019. Comme rappelé dans l’Astronomie 157 de février 2022 et 163 de septembre 2022, il est démontré que l’astéroïde possède les propriétés attendues des solides les plus primitifs du Système solaire, et qu’il s’est formé par réaccumulation de matériau provenant d’un corps parent détruit suite à un impact. De plus, la comparaison directe avec la plupart des chondrites carbonées présentes dans les collections suggère des modifications du matériau d’origine dues à un chauffage et une déshydratation partielle. L’analyse plus poussée des propriétés de l’astéroïde devrait préciser les conditions de formation et d’évolution du corps parent de l’astéroïde lui-même.

C’est pourquoi une étude de grande envergure du sol de Ryugu est effectuée à partir de l’analyse d’échantillons des deux groupes A et B qui furent distribués à différents laboratoires internationaux équipés d’instruments d’analyse haute résolution permettant une caractérisation aussi fine que possible des poussières analysées. Au total, 18 particules de taille comprise entre 1 et 8 mm qui ont été analysées, 7 de A et 11 de B. Le résultat de ce travail est décrit dans un article paru il y a quelques semaines dans la revue Science [2], auquel ont participé en particulier des chercheurs du CNRS-Insu et du CNRS-IN2P3 avec le support du Cnes [2]. Cet article s’attache tout d’abord à comprendre où et quand le corps parent de Ryugu s’est formé dans la nébuleuse solaire. Dans un deuxième temps, il détermine la minéralogie du matériau originel et sa composition en eau, avant de reconstruire l’évolution au cours du temps des matériaux, suite aux réactions de leur interaction avec l’eau. L’article tente ensuite de répondre à la question de savoir quel est le rôle des radioéléments à courte période dans le chauffage de l’astéroïde ; enfin, il cherche à comprendre la formation de Ryugu après l’impact et la réaccumulation du matériau éjecté.

C’est donc une mise au point très pointue de l’histoire de Ryugu qui est proposée à partir de ces résultats. Il est montré que sont présents de la magnétite ainsi que différents minéraux hydratés, comme des argiles ou des carbonates, mais aussi de la matière organique. Il semble que la plupart des minéraux présents se sont formés au voisinage du Soleil. Si l’on compare les poussières de Ryugu avec les météorites, on voit qu’elles ont une composition très similaire à la composition de la météorite Orgueil [3]. Orgueil appartient à la classe rare des « chondrites carbonées de type CI1 », qui montrent la plus grande affinité avec l’abondance élémentaire du Soleil.

 

Vue au microscope optique des 17échantillons utilisés pour cette étude, du plus petit (C055) au plus grand C0002 ; les images sont approximativement à la même échelle. (© JAXA)

 

Pour tenter de faire une synthèse des nombreux résultats décrits dans l’article, les auteurs s’aident d’une simulation numérique qui tient compte de toutes les caractéristiques mesurées dans les quelques échantillons de poussière analysés. Ils suggèrent que le corps parent de Ryugu, d’une taille d’environ 100 km [4], s’est formé environ 2 millions d’années après la formation du Système solaire, puis a passé les 3 millions d’années suivantes à une faible température permettant des réactions d’altération aqueuse, avant qu’un impacteur le désagrège ; enfin, Ryugu s’est formé à partir du matériau libéré lors de l’impact.

 

iLa matière primitive du Système solaire est emmagasinée dans certains astéroïdes comme Ryugu, visité par la sonde Hayabusa[2] de la Jaxa dont il est question ici, et Bennu, visité par la sonde Osiris-Rex de la Nasa, et dont des échantillons prélevés en surface devraient atterrir sur Terre en septembre 2023. Anny-Chantal Levasseur-Regourd, décédée le 1er août 2022, aurait adoré suivre les avancées de ces missions. Elle travaillait surtout sur des expériences embarquées sur les missions vers les comètes, Giotto vers Halley et Rosetta-Philae vers 67P/Churyumov-Gerasimenko, autres corps primitifs du Système solaire. Sa contribution fut essentielle pour déchiffrer les analyses. Ce court article lui est dédié.

 

par Janet Borg, Institut d’astrophysique spatiale

 

 

Article publié dans l’Astronomie de Décembre 2022

 

Notes

  1. L’astéroïde (162173) Ryugu est de type C, considéré comme primitif, c’est-à-dire ayant peu évolué depuis sa formation au début du Système solaire.
  2. T. Nakamura et al., « Formation and evolution of carbonaceous asteroid Ryugu: direct evidence from returned samples », Science (2022). http://science.org/doi/10.1126/science.abn8671
  3. Orgueil est une météorite tombée dans un champ de la commune d’Orgueil près de Montauban, en France, en 1864 ; près de 14 kg ont été collectés, dont l’essentiel est conservé au MNHN à Paris.
  4. Rappelons que le diamètre de Ryugu est de 435 mètres.

 

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