Le 1er décembre dernier, le radiotélescope géant d’Arecibo a terminé sa carrière. La nacelle de 900 tonnes contenant le plan focal s’est effondrée sur l’immense antenne de plus de 300 mètres de diamètre. Après la rupture d’un premier câble en août dernier, puis d’un second en novembre, on savait la fin inéluctable : la National Science Foundation avait décidé l’arrêt et le démontage de la structure ; cette dernière phase n’aura pas eu le temps d’être réalisée.
Situé en pleine forêt tropicale, sur l’île de Porto Rico, le radio-télescope d’Arecibo (fig. 1) a été mis en service en 1963. Il est constitué d’une antenne sphérique placée dans une cuvette naturelle formée à la suite d’un effondrement de terrain. La plateforme contenant le récepteur est portée par une nacelle fixe, soutenue par un réseau de câbles à trois pylônes géants situés à la périphérie. Le déplacement des récepteurs sur un rail tournant autour d’un axe vertical permet de suivre la source observée lorsque celle-ci se déplace dans le ciel. Situé près de l’équateur, le radiotélescope peut notamment observer toutes les planètes du Système solaire et suivre leur mouvement autour du méridien. Pendant plus de cinquante ans, le radiotélescope d’Arecibo aura été le plus grand instrument radio de son type (antenne unique ou single dish) au monde. Il ne sera détrôné qu’en 2016 par le radiotélescope chinois FAST.
Peu de temps après sa mise en service, le radiotélescope, utilisé alors en mode radar, est à l’origine d’une découverte remarquable : en 1964, l’équipe de Gordon Pettengill, à partir de ses mesures radio, détermine la véritable période de rotation de la planète Mercure. Celle-ci n’est pas égale à sa période de révolution (88 jours), comme on le croyait précédemment, mais elle est de 59 jours. La planète n’est donc pas en rotation synchrone, mais tourne très lentement sur elle-même : la durée d’une journée sur Mercure est de 176 jours terrestres. À la même époque, un chercheur de l’Observatoire de Paris, Ilya Kazès (1926-2008), séjourne deux ans à Arecibo pour mesurer, en mode passif cette fois, le rayonnement radio de Jupiter à différentes longueurs d’onde, 70, 150 et 700 cm (ce qui correspond à des fréquences respectives de 429, 200 et 42,9 MHz), pour étudier la variation de ce rayonnement en fonction de la rotation de la planète. C’est à cette période que le Grand Radiotélescope de Nançay, rattaché à l’Observatoire de Paris, entre en service dans le Cher.
En 1974, le radiotélescope d’Arecibo connaît une rénovation majeure : le grillage qui constitue sa surface est remplacé par un ensemble d’environ 40 000 panneaux d’aluminium perforés supportés par un maillage de câbles en acier. L’amélioration de la qualité de surface ainsi obtenue permet l’observation à plus haute fréquence, en particulier celle de la raie de l’hydrogène neutre à 21 cm (1,420 GHz) qui se révèle être un diagnostic précieux pour sonder la dynamique de la Galaxie et déterminer la constante de Hubble, à partir de la mesure de l’éloignement des sources extragalactiques. D’autres transitions deviennent également observables : celles des radicaux OH à 18cm (1,66GHz) et CH à 9cm (3,3 GHz). Les observations de OH dans les comètes sont précieuses pour étudier leur taux de production (OH étant un produit de dissociation direct de la molécule d’eau, constituant principal des comètes) et suivre leur évolution en fonction de la distance héliocentrique. De telles études se poursuivent aujourd’hui sur le Grand Radiotélescope de Nançay. C’est à Arecibo qu’est obtenue, en 1989, la première image d’un astéroïde (4769 Castalia). Enfin, le radiotélescope connaît à nouveau son heure de gloire un an plus tard, lorsque l’astronome polonais Aleksander Wolszczan découvre deux pulsars, PSR B 1257 +12 et PSR B 1534 +12, puis, deux ans plus tard, deux planètes en orbite autour du premier d’entre eux. Il s’agit de la première découverte de planètes extrasolaires.
Au-delà des découvertes scientifiques qu’il a accomplies, c’est surtout la quête d’une vie extraterrestre qui a fait la renommée du radiotélescope d’Arecibo. Son nom est en effet associé au projet SETI (Search for Extraterrestrial Intelligence). Né en 1960 à l’initiative de l’astronome Frank Drake, ce projet a pour ambition de communiquer avec d’éventuelles civilisations extraterrestres par le canal de la transition de l’hydrogène à 21 cm, supposée être universellement connue. La campagne commence avec la grande antenne de Green Bank, en Virginie-Occidentale, puis mobilise aussi celles d’Arecibo et de Parkes, en Australie, ainsi que le Grand Radiotélescope de Nançay. C’est depuis Arecibo qu’est lancé, en 1974, le célèbre message vers d’autres mondes, dans la direction de l’amas globulaire M13. Ce message de 1679bits, codé en binaire, définit une image de 23 × 73 points sur laquelle figurent des nombres, des formules chimiques et des images simplifiés représentant un homme et le télescope (encadré ci-dessus). Une première remarque s’impose : l’amas M13 étant situé à 25 000 années-lumière, il faudra s’armer de patience pour obtenir une réponse. Notons aussi qu’il faudra aux extraterrestres une intelligence supérieure pour déchiffrer ce message…
Thérèse ENCRENAZ | Observatoire de Paris