L’Égypte, à travers ses vestiges millénaires le long du Nil, dévoile une histoire ancienne et riche, offrant un accès vibrant à la civilisation pharaonique. L’Égypte antique a légué un héritage astronomique marquant, imprégnant la vie quotidienne de cette civilisation à travers ses vestiges archéologiques, ses écrits, ses mythes et ses représentations.
1. Savoirs et Mythes
- Livre des Morts
En 1855, l’archéologue Robert Hay découvre le Papyrus de Greenfield près de Thèbes (actuel Louxor). Il faisait partie du Livre des Morts, connu en ancien égyptien sous le nom de Per Em Heru. Initialement long de 37 mètres, il est désormais séparé en 96 parties et entreposé au British Museum. Ce recueil de textes funéraires, rédigé par Nestanebisheru, guiderait les défunts à travers le royaume des morts, intégrant des éléments astronomiques tels que les étoiles, les constellations, les objets célestes et les cycles temporels.
Dans le Livre des Morts, les références aux étoiles et aux constellations sont prédominantes. Les étoiles rencontrées par les défunts ne sont pas simplement des repères célestes ponctuant leur parcours, mais représentent des divinités de l’Égypte antique. Dans la mythologie égyptienne, le Noun symbolise les eaux primordiales, élément chaotique à partir duquel l’univers a émergé. Atoum, première divinité créatrice, engendra Chou (l’air) et Tefnout (l’humidité), donnant naissance à Nout (la terre) et Geb (le ciel), puis ces derniers ont donné naissance à Osiris, Isis, Seth et Nephtys, formant ainsi l’Énéide d’Héliopolis (Figure 1).
Figure 1. Représentation de l’enéide d’Héliopolis. D’après “L’astronomie égyptienne” © Andrillat, H.
Dans le papyrus de Greenfield (Figure 2.), on voit une représentation de la création du monde selon la mythologie égyptienne. On note que Nout, la déesse du Ciel incarne la sphère céleste et la source de toute vie. Geb, la divinité terrestre est représentée comme une personne semi-allongée étirant ses membres et agissant comme le réceptacle de la vie. Chou, dieu de l’air soutient Nout et maintient une séparation entre le ciel et la terre. On perçoit également deux béliers qui aident Chou à maintenir cette séparation.
Les astronomes de l’Égypte antique observaient avec rigueur les mouvements des astres, associés à des divinités. Les cycles temporels astronomiques se concentrait sur le dieu soleil, métamorphosé trois fois dans la journée, passant de Hpri au matin à Râ à midi, puis à Atoum le soir, plongeant dans les ténèbres avant de renaître au matin en un nouvel Hpri.
Figure 2. Feuille 87 du Livre des Morts de Nestanebtasheru. © The Trustees of the British Museum
- Le calendrier égyptien
L’orientation temporelle dans l’au-delà, telle qu’évoquée dans les textes, met en avant l’importance de Sirius, désignée sous le nom d’Isis dans l’Égypte antique. En tant qu’étoile la plus brillante de l’hémisphère Nord, Sirius revêt une importance fondamentale dans le calendrier égyptien et les cycles annuels. La première apparition de Sirius avant l’aube, appelée lever héliaque, coïncidait avec les crues du Nil, symbolisant la fertilité agricole et marquant le début du nouvel an égyptien.
Le calendrier lunaire de l’Egypte antique est étroitement lié à l’astronomie. Les Egyptiens ont établi que la durée d’une année était de 365 jours et que le lever héliaque de Sirius avancerait d’un jour tous les quatre ans.
L’année de 360 jours était répartie en 12 mois de 30 jours, basée sur les 12 lunaisons annuelles, chaque mois étant divisé en trois décans de 10 jours chacun. Ces 12 mois étaient regroupés par 4 pour former 3 saisons. Cependant, pour harmoniser le calendrier lunaire avec l’année tropicale (le temps que la Terre met pour revenir à sa position dans son orbite autour du Soleil), certains mois intercalaires étaient ajoutés, déterminés par des observations du ciel, notamment l’apparition de Sirius. L’intercalaire Epiphi était ajouté après le mois de Mekhir (ajustement lié à la crue du Nil), Mésoré était intercalé après le mois de Pachons (saison des semailles), Dehen était rajouté après le mois intercalaire de Pachons (ajustement saisonnier), et enfin Épagomène était ajouté à la fin de l’année pour atteindre 365 jours.
Figure 3. Un relief d’un calendrier de l’Égypte antique de Kom Ombo, le temple d’Horus et Sobek. © 1996–2022 Virginia Museum of Fine Arts, Richmond
2. Représentations astronomiques
Il existe de nombreux vestiges de l’astronomie dans le monde antique égyptien. Cependant, établir une liste exhaustive serait une tâche ardue. Parmi les exemples notables, on peut citer l’orientation astronomique des pyramides de Gizeh, le site mégalithique de Nabta Playa, les textes des sarcophages, les textes des pyramides et le zodiaque de Denderah. Pour illustrer cette richesse, nous avons choisi de mettre en lumière le plafond astronomique du tombeau de Senenmout.
- Le plafond astronomique de Senenmout
Senenmout était un haut dignitaire et architecte qui a servi sous le règne de la reine Hatchepsout de la XVIIIe dynastie. La tombe de Senenmout, connue sous le nom TT353 a été découverte à Deir-el-Bahari près de Louxor en 1925 par l’archéologue Herbert Winlock. La tombe qu’il a fait construire renferme un plafond astronomique qui témoigne de la grande précision des connaissances astronomiques de l’Égypte antique.
Le plafond astronomique illustré en Figure 4 est constitué de deux parties. Dans le registre inférieur, les douze mois de l’année sont présentés sous forme de cercles, divisés en vingt-quatre parts. Ces cercles sont à leur tour divisés en deux groupes par un triangle isocèle qui détermine le méridien, reliant ainsi la localisation de l’observation au point de la voûte céleste situé à sa verticale. Au sommet du triangle, on trouve une divinité qui montre de sa lance la position d’une des étoiles (à travers la cuisse du taureau). Cette partie montre le passage de cette étoile à son point le plus élevé sur le méridien, ce phénomène est appelé “culmination” et correspond au passage de la deuxième saison (Peret, la germination) à la troisième saison (Chemou, la chaleur).
On constate également qu’une autre culmination est présente: celle de l’étoile Rigel de la constellation d’Orion, associée à Osiris, qui désigne ainsi le passage entre la première saison (Akhet, l’inondation) et la seconde saison (Peret). En observant les pieds d’Osiris, on remarque que c’est par ses pieds gauches, reposant sur une barque, que passe la ligne méridienne.
Dans le registre supérieur, à la gauche d’Osiris, d’autres dieux sont représentés, symbolisant les planètes Jupiter, Saturne, Mercure et Vénus, à l’exception, de manière mystérieuse, de Mars. Cette représentation reflète le ciel nocturne au début du Peret. Une hypothèse subsiste quant à la non-représentation de Mars. En effet, la planète pourrait être symbolisée par la barque vide, représentant une configuration où Mars serait en mouvement rétrograde.
Figure 4. Illustration du plafond astronomique de la tombe de Senenmout, par Charles K. Wilkinson (MET, 48.105.52). © Rogers Fund, 1948
3. L’astronomie dans l’Egypte moderne : héritage et continuité
En 1865, l’Observatoire Khédivia (lFigure 5) a été fondé à Abbasiya, un quartier du Caire (Midan Radkhana = Place de l’Observatoire) sous la direction de l’astronome Mahmud Ahmad Hamdi al-Falaki (1815-1885), qui avait observé l’éclipse solaire en 1860. Le bâtiment a subsisté jusqu’en 1952. Aujourd’hui, se trouve à cet emplacement la Faculté des Arts de l’Université Ain Shams.
Figure 5. L’ Observatoire Khédivial à Abbasiya sur une carte postale de 1906.
L’Observatoire Astronomique Khédivial de Helwan, a été construit quant à lui en 1903-04, il était équipé d’un télescope de 30 pouces (76 cm) construit par John Reynolds (1874-1949). Il a été utilisé pour la première fois par Harold Knox-Shaw pour photographier la comète de Halley lors de son passage au périhélie en 1910.
Ce dernier réalisa également des études morphologiques sur les nébuleuses. En examinant les photographies de la nébuleuse variable NGC 6729 dans Corona Australis, il a pu déduire que les changements de luminosité et de forme étaient liés au temps que prend la lumière pour voyager depuis l’étoile qui l’illumine, R CrA (Figure 6).
Figure 6. Haut gauche : Le télescope de Reynolds de 30 pouces à Helwan. © Royal Astronomical Society. Haut droit : Mohammed Reda Madwar a cote du telescope de Reynolds. © Archives of the National Research Institute of Astronomy and Geophysics, Egypt. Bas gauche : Plaque photographique originale de Knox-Shaw dévoilant la comète de Halley le 25 mai 1910. Bas droit : Corona Australis (NGC 6729). La brillante nébuleuse juste au-dessus du centre est NGC 6726-7. NGC 6729 se trouve juste en dessous à gauche. Le groupe globulaire en haut à droite est NGC 6723. © Peter Knox-Shaw and the Science & Society Picture Library.
Figure 7 : Entrée du temple d’Abou Simbel. La façade du temple est l’une des caractéristiques emblématiques de ce site égyptien dédié à Ramsès II. Elle présente quatre statues colossales du pharaon assis, mesurant environ 20 mètres de haut, symbolisant sa grandeur. Des statues de divinités égyptiennes accompagnent celles de Ramsès. Les murs sont ornés d’inscriptions glorifiant les exploits de Ramsès II et les dieux.
L’Égypte préserve un patrimoine astronomique antique d’une grande richesse, toujours perceptible de nos jours à travers une diversité de vestiges et de monuments.
Le Temple d’Abou Simbel (Figure 7), érigé par Ramsès II, dévoile son ingéniosité astronomique deux fois par an lors des équinoxes. À ces moments précis, le soleil traverse l’entrée du temple, et illumine trois des quatre statues dans le sanctuaire – Ramsès II, Râ-Horakhty qui signifie Horus des Deux Horizons (fusion de Râ et Horus) et Amon-Râ. Ptah, quant à lui associé à l’obscurité, reste dans l’ombre pendant ces phénomènes. Dans la mythologie égyptienne, l’acte créatif de Ptah impliquait la parole et la pensée plutôt que la lumière du soleil.
Le Temple d’Abou Simbel a été déplacé en raison de la construction du barrage d’Assouan dans les années 1960. Menacé par la montée des eaux du lac Nasser, ce site historique a fait l’objet d’une vaste opération de sauvetage menée par la communauté internationale afin de préserver son intégrité.
Le temple a été découpé en blocs de pierre, démantelé et ensuite déplacé vers un site plus élevé, à environ 65 mètres au-dessus de son emplacement d’origine. Cette opération a été réalisée entre 1964 et 1968. L’ensemble du complexe a été réassemblé de manière à préserver son orientation astronomique et son alignement solaire.
L’Égypte présente une continuité dans son intérêt pour l’astronomie, depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours. L’héritage astronomique de l’Égypte ancienne se perpétue à travers des vestiges archéologiques, des textes anciens et des artefacts. Les anciens Égyptiens, observateurs assidus du ciel, ont intégré l’astronomie dans leur vie quotidienne et religieuse. Cette fascination persiste dans le contexte moderne à travers les observatoires, les recherches archéo-astronomiques. Le Grand Musée Egyptien qui ouvrira prochainement au pied des pyramides de Gizeh jouera un rôle clé en mettant en lumière cet héritage, créant ainsi une connexion significative entre le passé et le présent de l’astronomie égyptienne.
Mona El Morsy
Chercheuse postdoctorante à l’Université du Texas à San Antonio, USA
Bibliographie
https://www.britishmuseum.org/collection/object/Y_EA10554-87
Book of the Dead: A Guidebook to the Afterlife – ARCE
https://media4.obspm.fr/public/ressources_lu/pages_saisons/stlp-egypte-ancienne.html
https://www.researchgate.net/publication/236683036_Harold_Knox-Shaw_and_the_Helwan_Observatory
https://ui.adsabs.harvard.edu/abs/1999C%26T…115..178A/abstract
https://www.metmuseum.org/art/collection/search/544566
https://vmfa.museum/learn/resources/its-egypt/
https://mathshistory.st-andrews.ac.uk/Biographies/Madwar/
https://www3.astronomicalheritage.net/index.php/show-entity?identity=127&idsubentity=1