La mission InSight du programme Discovery de la NASA est la première mission planétaire à faire d’un sismomètre (SEIS, instrument français) son instrument principal. InSight doit explorer la structure et l’activité de l’intérieur de Mars, dans l’espoir de reconstituer l’histoire de sa formation et de découvrir son activité sismique actuelle. En apparence, étudier la météorologie de Mars n’est pas le but premier de la mission InSight.
A la fin des années 70, les atterrisseurs Viking se sont posés à la surface de Mars et ont permis, grâce à leurs instruments météorologiques, de découvrir depuis la surface l’activité de l’atmosphère de Mars en deux endroits distincts de la planète. Le but principal des missions Viking était d’explorer l’environnement martien et son habitabilité. En complément, à titre purement expérimental, les sondes Viking embarquaient un sismomètre. L’analyse s’est révélée difficile : les sismomètres Viking ont surtout enregistré une forte contribution atmosphérique au signal sismique.
Atmosphère et bruit sismique capturé par InSight
Les capteurs météorologiques sont en fait une composante essentielle au succès de la mission InSight. Pourquoi ? L’échec relatif des mesures Viking nous renseigne par l’exemple. A moins d’enterrer complètement un sismomètre dans le sous-sol martien, ce qui requerrait une instrumentation d’une masse bien supérieure à ce que l’on peut acheminer sur Mars à l’heure actuelle, toute expérience géophysique sur Mars doit composer avec le signal sismique indésirable excité par l’atmosphère. Les variations de température atmosphérique augmentent le niveau de bruit du sismomètre, le vent qui souffle fait vibrer la sonde InSight sur la surface de Mars, causant des ondes sismiques capturées par le sismomètre, et les variations de pression atmosphérique exercent une force qui déforme la surface, donc provoque également des perturbations sismiques. Les variations causées par la turbulence atmosphérique, qui se développent sur des échelles de temps inférieures à la minute, sont les plus à même de causer du bruit sismique atmosphérique.
La première stratégie d’InSight pour limiter ces perturbations indésirables de l’atmosphère est de recouvrir le sismomètre d’une cape rigide protectrice. La seconde stratégie est de déterminer de la manière la plus précise et complète possible les variations de l’atmosphère afin d’évaluer le bruit sismique qu’elles causent et de nettoyer, autant que faire se peut, le signal sismique mesuré à la surface de Mars de l’indésirable signal atmosphérique. Cette technique porte le nom de décorrélation de pression et nécessite des mesures de la pression atmosphérique de fine précision et haute fréquence (20 mesures par seconde). Le capteur de pression embarqué sur InSight possède donc des caractéristiques inédites par rapport aux capteurs de pression précédemment envoyés sur Mars. Il est de plus associé à deux capteurs de température et de vents (nommés TWINS) qui vont sonder l’activité atmosphérique en continu pour évaluer les périodes (au cours de la journée, au cours de l’année) pendant lesquelles il est opportun de réaliser les meilleures mesures sismiques.
InSight est donc autant une station géophysique qu’une station météorologique. Pour faire des mesures sismiques révélant la structure et l’activité interne de Mars, il faut d’abord nettoyer ces mesures du bruit atmosphérique, comme l’on nettoierait une frise de cathédrale couverte de boue pour en apprécier tous les détails. Est-ce là la seule utilité des capteurs météorologiques d’InSight ? Evidemment non. On peut prendre la boue et en faire de l’or, comme disait Charles Baudelaire.
Explorer l’atmosphère de Mars avec InSight
Plusieurs capteurs météorologiques, mesurant pression, vents, température, ont été embarqués sur des robots à la surface de Mars (Viking, Pathfinder, Phoenix, Curiosity) répartis dans plusieurs régions caractéristiques de la planète rouge. Ces mesures météorologiques passées ont été d’une importance capitale pour comprendre à la fois le climat de Mars et son cycle des poussières, de l’eau et du dioxyde de carbone. L’analyse de la météorologie depuis la surface est parfaitement complémentaire des observations spatiales depuis l’orbite de Mars. Une station météorologique à la surface de Mars est une excellente méthode pour obtenir des séries temporelles complètes de pression, température, vents, ce dont les orbiteurs sont incapables. En contrepartie, les orbiteurs donnent un contexte global et régional aux mesures d’un atterrisseur ne donnant accès qu’à une seule région très localisée de la planète.
La nécessité, pour interpréter les mesures sismiques, d’observer en continu l’atmosphère est un des grands atouts d’InSight par rapport aux précédentes mesures météorologiques à la surface de Mars, qui avaient toutes des trous dans la couverture temporelle pour des raisons diverses et variées. En pratique, InSight va donc permettre de manière inédite de suivre au cours des saisons les variations de vent, température et pression causées par les circulations à grande échelle dans l’atmosphère de Mars : cellules de Hadley (courants lents faisant circuler chaleur et espèces chimiques d’un hémisphère à l’autre), ondes atmosphériques planétaires, cycle de condensation / sublimation du CO2 atmosphérique en des calottes saisonnières. A tout moment pendant la mission, si survient un phénomène d’ampleur, telle une tempête de poussière très étendue, InSight pourra enregistrer tous les soubresauts atmosphérique associés à ce phénomène. Equipées de caméras couleur, l’atterrisseur InSight permettra également un suivi de l’activité dans l’atmosphère dans la région de son site d’atterrissage : charge en poussière dans l’atmosphère, présence de nuages de glace d’eau, brouillard matinal, évolution des dépôts de poussière à la surface sous l’effet de l’érosion éolienne.
InSight sera en fait un complément très intéressant à la mission Curiosity qui embarque des capteurs de vents et de température similaires à ceux d’InSight. Le rover Curiosity est situé à seulement 400 km au sud du site d’atterrissage d’InSight, donc le contexte météorologique de grande échelle est similaire entre les deux missions. En revanche, Curiosity fait des acquisitions météorologiques à l’intérieur du cratère Gale, où l’influence régionale de la topographie sur les vents est considérable. Comparer les mesures des deux missions permettra donc, via InSight, de mieux évaluer le contexte atmosphérique global dans lequel elles se trouvent toutes les deux ; et, en négatif, expliquer les nombreux phénomènes météorologiques associés à la topographie dans les mesures de Curiosity.
Une autre caractéristique intéressante des mesures météorologiques d’InSight est l’acquisition haute fréquence. Le capteur de pression est de ce point de vue particulièrement performant, mais il en est également de même dans une moindre mesure pour les capteurs de vent et température. InSight sera donc particulièrement bien équipé pour évaluer la variabilité rapide, turbulente de l’atmosphère proche de la surface de Mars. InSight pourra enregistrer avec précision les nombreux tourbillons et cellules convectives qui passent au cours de la journée, lorsque le sol chauffé par le soleil provoque des instabilités convectives à proximité de la surface. La vitesse du vent peut y varier très vite, causant un soulèvement des fines particules de poussière de la surface vers l’atmosphère. Lorsque ces poussières sont entrainées dans un tourbillon convectif, cela donne naissance aux dust devils, fines colonnes de poussière caractéristiques observées dans les déserts terrestres et sur Mars. InSight sera même équipé, contrairement aux campagnes précédentes, de capteurs d’une fréquence si haute qu’il sera potentiellement possible de décrire en détail comment l’énergie turbulente de l’atmosphère se dissipe en de minuscules tourbillons. Ce phénomène universel existe sur Terre comme sur Mars, mais ses échelles caractéristiques diffèrent dans l’atmosphère très ténue de Mars.
Un point de vue original sur l’atmosphère de Mars
La combinaison de mesures sismiques et de mesures météorologiques est un avantage indéniable d’InSight, qui rend sa façon d’étudier l’atmosphère de Mars particulièrement originale. Premier exemple, les dust devils précités (et, en fait, tous les tourbillons convectifs, qu’ils transportent de la poussière ou non) seront détectés par les capteurs météorologiques, mais également par le sismomètre car la chute abrupte de pression qu’ils impliquent déforme la surface. Autrement dit, les tourbillons convectifs atmosphériques causent des micro-séismes. InSight sentira ainsi passer de tels phénomènes depuis beaucoup plus loin que s’il avait été simplement une station météorologique. L’instrumentation d’InSight peut donc permettre d’étudier une surface plus grande autour de l’atterrisseur que les missions précédentes.
Deuxième exemple, toute perturbation un peu soudaine dans l’atmosphère (par exemple, un impact de météorite ou, moins rarement, un vent soufflant sur une montagne ou un cratère), jour ou nuit, cause l’émission d’ondes de gravité dans l’atmosphère, analogues des ondes causées en jetant un caillou dans un étang calme. Ces ondes qui révèlent la variation de température et de vent suivant la verticale ont une signature à la fois météorologique et sismique. InSight pourra donc les détécter depuis la surface pour la première fois. Les impacts de météorite devraient d’ailleurs être plus directement repérés par l’émission d’infrasons que le capteur de pression d’InSight sera capable de détecter.
Au final, s’il n’est pas certain qu’InSight révolutionne la science atmosphérique martienne, la mission va permettre une vision nouvelle et originale des phénomènes atmosphériques martiens, avec une possibilité de découvertes inattendues, permises par des capteurs à la couverture temporelle et la précision inégalées à la surface de Mars. InSight est donc un jalon important pour connaître l’environnement dans lequel évolueront les futures missions martiennes, robotiques ou humaines. La mission InSight préfigure d’ailleurs, très probablement, des campagnes de mesure avec des réseaux de multiples stations météorologiques / géophysiques à la surface de Mars.
Aymeric SPIGA, Chercheur LMD/IPSL
COAUTEURS: ■ DON BANFIELD, Senior Scientist à Cornell University, USA ■ JOSÉ-ANTONIO RODRIGUEZ-MANFREDI, chercheur au Centro de AstroBiologia (CAB), INTA, Espagne ■ FRANÇOIS FORGET, directeur de recherche CNRS au Laboratoire de météorologie dynamique (LMD) / Institut Pierre-Simon-Laplace (IPSL) à Paris ■ PHILIPPE LOGNONNÉ, directeur de recherche à l’Institut de physique du globe de Paris (IPGP).