LE MAGAZINE DES SCIENCES DE L’UNIVERS EN AFRIQUE

La formation de cratère d’impact lors de la chute d’astéroïdes ou de comète à la surface de la Terre est maintenant reconnue comme un processus géologique majeure qui a contribué à l’évolution de notre planète depuis sa formation. Ces dernières décennies ont été marquées par la découverte de nouvelles structures d’impact qui viennent compléter notre connaissance de l’histoire des collisions entre notre planète et les autres corps du Système Solaire. Cependant, ces découvertes concernent essentiellement les continents américain et européen, tandis que le continent africain reste sous-exploré. Certaines structures sont d’ores et déjà identifiées comme structures d’impact potentielles, mais attendent des campagnes d’exploration géologique et géophysique pour apporter les preuves nécessaires de leur origine extraterrestre.

 

Fig. 1 – Vue 3D de la dépression circulaire de Vélingara, Casamance, Sénégal. © Yoann Quesnel

 

Parmi ces structures potentiellement d’origine extraterrestre, la dépression circulaire de Vélingara, appelée également bassin de l’Anambé, dans l’est de la Casamance, est un objet géologiquement majeur avec un diamètre d’environ 35 km de diamètre. Il est occupé au centre par un projet d’aménagement agricole pour la riziculture, mené par la SODAGRI. 5000 ha sont déjà irrigués, et ce site produit l’un des meilleurs rendements du Sénégal (6t de riz / hectare) permettant de nourrir environ 100 000 personnes. En considérant la forme de ce bassin, identifiée sur l’imagerie satellite, deux chercheurs, Souleye Wade et Sharad Master, respectivement de l’Université Cheikh Anta Diop et de l’Université de Witswatersrand, ont proposé il y a plus de 20 ans qu’un impact météoritique était à l’origine de cette dépression.  La structure a été probablement formée dans des sédiments marins de l’Eocène moyen (49 – 37 Ma) du bassin côtier du Sénégal et a été enterrée jusqu’à 90 m de sédiments continentaux post-Eocène. Des relevés de forages hydrauliques et une étude de résistivité suggèrent que le socle Néoprotérozoïque ou Paléozoïque de la ceinture mauritanienne est sub-affleurant dans les parties centrales. Ceci a été considéré comme une indication d’un soulèvement du socle dans la partie centrale de la structure – selon l’hypothèse de structure d’impact météoritique il s’agirait donc d’un pic ou anneau central. Il s’agirait donc de la 13ème structure d’impact terrestre par sa taille. Sur les cent derniers millions d’années, il s’agirait de la troisième plus grosse structure après Chixculub (150 km, 66 millions d’années) et Popigai (100 km, 35.7 millions d’années). Il s’agirait donc d’un évènement géologique majeur à l’échelle régionale (Afrique de l’Ouest), voire mondiale, même si cela reste spéculatif, tant que l’origine, l’âge, et la taille de cette structure ne sont pas correctement élucidés.

Fig. 2 – Mesures magnétiques au centre de la dépression à l’aide d’une pirogue avec Y. Quesnel (CEREGE) © David Baratoux

La quasi absence d’affleurement, et la couverture latéritique sont l’obstacle principal, qui explique l’absence de preuve, mais aussi un manque de connaissance de la structure en elle-même, étant donné que son expression en surface est limitée à un faible relief, sans que l’on puisse cartographier les lithologies associées aux faibles expressions topographiques. Pour essayer de déchiffrer la structure cachée sur les sédiments, il existe deux méthodes : le forage, et la géophysique. Le forage permet une observation ponctuelle de la nature des roches en profondeur, tandis que la géophysique renseigne sur les propriétés (densité, magnétisme) des roches enfouies sous les sédiments. Les deux approches sont complémentaires, et surtout, la méthode géophysique précède normalement le forage, qui peut être très coûteux, d’afin de déterminer le ou les lieux où les forages devront être réalisés.

Fin Mars 2022 une équipe de six géophysiciens et géologues des universités de Dakar, Abidjan et Aix-Marseille, ainsi que de l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD), a recueilli pendant huit jours des données géophysiques à même de révéler la densité et les propriétés magnétiques du sol, et de mieux comprendre la structure du sous-sol actuellement recouvert par des sédiments et sols récents. Ils ont pu également réaliser de nouvelles observations, à partir des rares fragments de roche présents en surface, ou des puits réalisés récemment dans les villages du bassin de l’Anambé. Des mesures magnétiques ont pu être réalisées jusqu’au centre de la structure, actuellement occupée par un lac d’environ 3 km de diamètre, à l’aide d’une pirogue.

 

Fig. 3 – Champ irrigué du bassin de l’Anambé (SODAGRI) dans la zone centrale de la dépression © David Baratoux

L’interprétation préliminaire des résultats montre des anomalies, en particulier gravimétriques, centrées sur la dépression et typiques d’un cratère érodé issu de la chute d’un astéroïde d’un diamètre de l’ordre du kilomètre. Les autres processus géologiques pouvant engendrer des structures circulaires sont connues : magmatisme, volcanisme, activité tectonique, diapirisme…mais il semble actuellement difficile, voire impossible d’expliquer ces anomalies par l’un de ces processus. Les données géophysiques seules ne pouvant apporter la preuve définitive de l’origine extraterrestre de la structure, les recherches se focaliseront donc également sur les quelques échantillons de surfaces qui ont pu être trouvés lors de cette mission. Pour trancher définitivement, il est probable qu’il faudra attendre la réalisation, que l’on espère prochaine, de forages carottés. Ces forages, s’ils confirment l’origine extraterrestre de la dépression, seront par ailleurs utiles pour contraindre le diamètre initial de la structure, au moment de sa formation, son niveau d’érosion actuellement, et son âge. Au vu de la morphologie actuelle, l’âge du cratère est a priori très ancien, plusieurs dizaines de millions d’années au minimum, mais une datation à l’aide d’un chronomètre isotopique, remis à zéro lors de l’impact (par la chaleur apportée par l’impact et/ou la fusion des roches impactées) est nécessaire pour fournir une estimation précise de l’âge de la structure, et compléter ainsi notre connaissance de l’histoire des collisions entre la Terre et des Astéroïdes.

Si l’origine extra-terrestre est confirmée, les ressources agricoles et halieutiques de bassin de l’Anambé auraient donc une origine extra-terrestre. Cette situation viendrait compléter la longue liste des structures d’impact qui sont associées à des ressources économiques : hydrocarbures, gisement de métaux, diamants, ou ressources en eaux. Ce lien avéré entre structures d’impact et géoressources représente également l’une des motivations de l’exploration future des potentielles structures d’impact sur le continent africain.

Fig. 4 – Equipe Scientifique lors de la campagne de mesures géophysiques. © David Baratoux

Cette étude effectuée en collaboration entre le CEREGE, l’Université Cheikh Anta Diop et le laboratoire Géosciences Environnement Toulouse est soutenue financièrement par le CNRS (projet AWA Astrophysics and Planetary Science in Africa, dispositif de soutien du CNRS aux collaborations avec l’Afrique Sub-Saharienne) et l’IRD, dans le cadre de l’Initiative Africaine pour les Sciences des Planètes et de l’Espace (http://africapss.org). Le projet AWA vise plus particulièrement à développer dans les pays africains l’étude de cratères d’impact dont on sait que de nombreux cratères restent à découvrir dans ce continent, particulièrement hors du Sahara et de l’Afrique australe : seulement deux cratères y sont connus, au Ghana et au Congo, alors que la surface considérée devrait en héberger quelques dizaines. Outre l’aspect recherche fondamentale à forte résonance médiatique, les compétences développées, en particulier la géophysique et la télédétection, sont directement transférables à des domaines d’intérêt économique et sociétal (ressources minérales et hydrocarbures, ressources en eau, agriculture, etc.).

David Baratoux – IRD/GET

 

Contacts :

Université Cheikh Anta Diop : Cheikh Ahmadou Bamba NIANG, cabniangeos@gmail.com

CEREGE : Yoann Quesnel, quesnel@cerege.fr

IRD/GET : David Baratoux, david.baratoux@ird.fr

 

 

 

 

 

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