Depuis cinquante ans, on pensait que les galaxies naines situées au voisinage de la Voie lactée avaient été satellisées il y a plusieurs milliards d’années. Cette idée a été remise en question grâce aux nouvelles données astrométriques du satellite Gaia, publiées dans le catalogue EDR3 (Gaia Early Data Release 3, Fig. 1) mis à la disposition de la communauté scientifique, et à ce jour les plus précises au monde.
La première partie du troisième catalogue Gaia (voir le dernier article sur Gaia dans le numéro 144 de l’Astronomie) a été publiée le 3 décembre 2020. La seconde partie sera publiée en 2022. Ce catalogue, qui contient environ 1,8 milliard de sources, constitue une avancée majeure par rapport au deuxième catalogue quant à la précision, l’exactitude et l’homogénéité des données astrométriques et photométriques. Il donne pour plusieurs millions de sources les mouvements propres sur la sphère céleste et les vitesses radiales mesurées par effet Doppler. On peut en déduire les mouvements propres des sources (traits blancs sur la Figure 1).
La Voie lactée est entourée d’un halo contenant de nombreux objets, tels que des étoiles géantes ou des amas d’étoiles appelés « amas globulaires », et dans le cas qui nous occupe ici, des galaxies naines. Le catalogue EDR3 qui vient d’être publié a permis ainsi d’obtenir les paramètres orbitaux (apocentres et péricentres, excentricités, formes de l’orbite) de 46 galaxies naines du halo de la Voie lactée, avec une précision 2,5 fois supérieure à celle du précédent catalogue. L’incertitude principale sur ces paramètres provient en fait de notre méconnaissance de la masse exacte de la Voie lactée, qui joue naturellement un rôle important pour déduire les paramètres orbitaux en fonction des vitesses mesurées. Une telle incertitude empêche de déterminer la nature et l’origine de ces galaxies. Sont-elles de vieilles galaxies satellites liées depuis longtemps à la Voie lactée, ou au contraire de jeunes galaxies satellites effectuant leur premier passage au voisinage de la Voie lactée, comme c’est le cas des Nuages de Magellan ?
On a pensé pendant longtemps que l’observation d’une formation ancienne d’étoiles dans certaines de ces galaxies naines prouvait une arrivée datant de plusieurs milliards d’années, lorsqu’elles commencèrent à tomber dans le halo, comme le réclame la cosmologie standard « LambdaCDM ». Incidemment, on a découvert un grave problème résidant dans le nombre bien trop petit de galaxies satellites par rapport aux prévisions du modèle standard ; c’est ce que l’on a nommé « le problème des galaxies naines satellites », qui n’est toujours pas résolu. En fait, la formation stellaire dans ces galaxies naines ne prouve rien, car on y trouve aussi bien de vieilles étoiles que des étoiles récentes datant de deux milliards d’années. Et on ignore si elles contiennent des étoiles encore plus jeunes, en particulier parce que les étoiles géantes rouges ayant quitté la séquence principale ne sont pas détectées facilement et ne peuvent donc être utilisées pour déterminer un âge.
Il faut donc se résoudre à contraindre l’histoire passée de ces galaxies naines par l’étude de leurs coordonnées dans l’espace à six dimensions issues des mesures de Gaia, celle des positions et des vitesses, d’où sont déduits leurs moments angulaires [1]. C’est ce qui vient d’être tenté dans un article publié par une équipe internationale dirigée par un astronome de l’Observatoire de Paris–PSL [2].
Les auteurs se sont d’abord rendu compte que les vitesses et les moments angulaires sont beaucoup plus grands que ceux des autres objets du halo. Or, il est admis que tous les objets gravitant autour de la Voie lactée ont des énergies et des moments angulaires décroissant avec le temps, à cause des effets de marée [3] et des rencontres avec d’autres objets. Plus longtemps ils sont en orbite, plus leurs énergies et leurs moments angulaires diminuent.
Puis les auteurs ont reconstitué les mouvements orbitaux en comparant les positions des galaxies naines avec celles des amas globulaires et de la population de vieilles étoiles du halo. La plupart des étoiles géantes entourant la Voie lactée sont nées d’une ancienne collision qui l’a formée il y a huit à dix milliards d’années. D’autres font partie d’un courant stellaire lié à la chute et à la destruction de la galaxie naine du Sagittaire dans la Voie lactée, il y a 4 à 5 milliards d’années. Or, les galaxies naines ont des énergies et des moments angulaires plus grands que tous ces objets, ce qui permet de conclure qu’elles ont rejoint la Voie lactée plus récemment, il y a seulement 1 ou 2 milliards d’années. Dans ces conditions, elles ont à peine eu le temps de parcourir une seule orbite.
Les auteurs en déduisent que ces galaxies naines ont dû arriver au voisinage de la Voie lactée à peu près en même temps que les Nuages de Magellan. Cela implique surtout que notre Galaxie a très peu de vrais satellites, ce qui pose un problème encore plus aigu concernant le modèle standard de la cosmologie. Une seconde conséquence est que ces galaxies ne contiennent peut-être pas de matière noire. En effet, on supposait qu’elles en contenaient beaucoup, ce qui leur permettait de résister pendant des milliards d’années aux forces de marée de la Voie lactée. C’est donc tout le scénario de la matière noire qui serait remis en cause. Cette solution était déjà proposée dans un article précédent des mêmes auteurs [4], mais elle n’était pas étayée par les mêmes données concernant les galaxies naines. C’est l’avenir qui dira si cette hypothèse radicale est juste ou non.
Par Suzy Collin-Zahn Observatoire de Paris-PSL
- Le moment angulaire est le produit de la vitesse tangentielle de la galaxie naine (la composante de la vitesse qui est projetée sur le ciel) par sa distance au centre de la Voie lactée.
- François Hammer et al., « Gaia EDR3 proper motions of Milky Way dwarfs. II: velocities, total energy and angular momentum », à paraître dans Astrophysical Journal.
- Effet d’étirement dû à la gravité d’un objet massif. C’est le même processus qui crée les marées terrestres sous l’effet de la gravité du Soleil et de la Lune.
- Hammer et al., « On the absence of dark matter in dwarf galaxies surrounding the Milky Way », The Astrophysical Journal, 883, 171, 2019.