Une importante conférence sur le thème : « L’Afrique entre dans l’ère du spatial : cas de la Côte d’Ivoire » s’est tenue au sein l’Université Houphouët-Boigny d’Abidjan Cocody, dans l’amphithéâtre Koffi Allangba, devant environ 200 étudiants.
Boubacar Fofana, Président de l’Association pour la Sauvegarde et la Promotion de la Pensée de El Hadj-Boubacar Gamby Sakho (ASPP-BGS), qui a pour but de promouvoir le dialogue des cultures, des civilisations, des traditions et des sciences comme peuvent l’être la médecine ou l’astronomie. Oui, tous les peuples ont toujours regardé vers le ciel et tenté de comprendre les causes de l’existence même de l’Univers. Comme l’a déclaré Boubacar Fofana : « Ce matin, nous allons faire le lien entre Copernic, Leibniz, Kepler, les Dogons du Mali, les Baoulés de Côte d’Ivoire, les Peuls du Macina et autres peuples d’Afrique. »
L’Association Ivoirienne d’Astronomie : c’est parti !
La conférence a débuté avec la présentation de l’Association Ivoirienne d’Astronomie (AIA) par le Dr Ackah Jean-Baptiste, docteur de physique à l’Université Félix Houphouët-Boigny, ingénieur aéronautique à l’ASECNA (Agence pour la SECurité de la Navigation Aérienne en Afrique et à Madagascar) et secrétaire chargé de la communication de l’AIA. Le but de cette jeune association, qui n’a été créée qu’en février 2021 à l’UFR des Sciences des Structures de la Matière et de Technologie (SSMT) de l’Université Félix Houphouët-Boigny de Côte d’Ivoire est de « s’investir davantage en redonnant l’envie aux jeunes de s’orienter vers les filières scientifiques, étant donné que leurs recherches de doctorat s’inscrivent dans le cadre de la physique spatiale et de la météorologie de l’espace ». Avec un objectif : construire un observatoire astronomique en Côte d’Ivoire. La jeune association a même reçu son premier télescope, offert par l’association française Uranoscope, dans le but de lancer son
programme de formation en astronomie !
Nous espérons que cette association, ainsi que cette conférence, traceront le chemin pour que dans un avenir très proche, les autorités compétentes puissent munir les étudiants ivoiriens d’une dizaine de télescopes modernes sans avoir à recourir à l’aide extérieure. Sachant qu’un seul télescope ne coûte même pas le prix d’un 4X4. Des 4X4 dont regorgent pourtant les rues d’Abidjan !
Une éducation classique « képlérienne » contre la politique
impériale d’aide au développement
Après les mots d’introduction d’usage, la parole a été donnée au premier panéliste, Sébastien Périmony, responsable du bureau Afrique de l’Institut Schiller, institut partenaire de l’événement. Il a présenté le travail épistémologique sur la méthode scientifique mené par le mouvement international de jeunes de Lyndon LaRouche. Pour cela, il a donné un sens du travail du père de l’astrophysique moderne, Johannes Kepler (1571-1630), qui a rendu accessible, à travers ses livres, l’évolution de toutes ses découvertes. Il a insisté auprès des élèves sur la nécessité de lire Kepler et Leibniz dans le texte et de comprendre les différentes méthodes de découverte scientifique. Tout en condamnant Aristote, pour qui : « Le monde imparfait des hommes ne leur permet pas de comprendre les causes des choses (les voix de Dieu étant impénétrables) mais juste d’observer les phénomènes avec ses perceptions sensorielles, et d’en déduire, de manière logico-déductive, des modèles géométriques. » Comme démontré par la suite à travers la méthode de Kepler, il a mis en lumière le fait qu’il « n’y a pas pire méthode scientifique que la méthode aristotélicienne. » Reprenant les animations réalisées par le mouvement de jeunes de Larouche, il a pu montrer les premiers paradoxes qui ont permis à Kepler de faire sa découverte de principe physique universel. A savoir l’équivalence des hypothèses géométriques entre les modèles de Ptolémée, de Copernic et de Tycho Brahe, pour expliquer la rétrocession de Mars. Ainsi, si les trois modèles étaient bel et bien différents, tous correspondaient pourtant parfaitement (ou presque) à ce que l’on peut observer dans le ciel !
Avec des animations et quelques citations, Sébastien Périmony a ainsi pu montrer que ni Ptolémée, ni Copernic, ni Tycho Brahe ne recherchaient les causes réelles du mouvement des planètes, mais simplement – et ce à l’aide de divers expédients tels des épicycles, des excentriques, des soleils « moyens », des équants, etc. – à préserver leurs axiomes. Quels axiomes ? Ceux selon lesquels le mouvement des planètes serait circulaire (courbure
uniforme) et se déplacerait à vitesse constante. Tout était faux. Et cela, la méthode scientifique képlerienne put le montrer, car elle cherchait non pas à décrire mais à expliquer les causes physiques du mouvement (l’attraction du soleil). Grâce à Kepler, nous savons depuis que le mouvement des planètes de notre système solaire est elliptique (non circulaire) et qu’il change en permanence (vitesse non uniforme).
C’est de cette approche touchant à l’hypothèse supérieure que les étudiants d’aujourd’hui doivent s’inspirer pour être les découvreurs de demain. Et c’est de nombreuses filières scientifiques de haut niveau que les autorités africaines doivent pouvoir les doter.
Les femmes africaines à la frontière de la connaissance
Cette situation, la seconde panéliste, Dr Marie Korsaga, l’a elle-même vécue. Elle est connue pour être la première femme astrophysicienne d’Afrique de l’Ouest. Statut qu’elle a elle-même découvert quand elle a obtenu son doctorat ! C’est ainsi qu’elle est devenue une femme qui compte dans le monde actuel. Elle a depuis participé à de nombreux événements internationaux pour promouvoir la science en Afrique, en particulier pour les jeunes étudiantes. En 2020, l’Institut Schiller a eu l’honneur de l’avoir comme oratrice à l’une de ses conférences.
Marie Korsaga a d’abord raconté comment est née sa passion : « Depuis l’enfance, je m’intéressais aux phénomènes de l’Univers, à savoir l’apparition de la vie sur Terre, les étoiles filantes et les phénomènes d’éclipse. » Or au Burkina-Faso, lors d’une éclipse de Lune, si les enfants demandent ce qu’il se passe, on leur répond que… c’est le chat qui a attrapé la Lune ! « Comment le chat a-t-il fait pour se retrouver là-haut et attraper la Lune ?! » Il faut faire beaucoup de bruit pour chasser le chat et ainsi voir réapparaître la Lune, se contentent de dire les parents… Dr Korsaga, elle, voulait en savoir plus. Passionnée et amatrice de documentaires sur la mission Apollo, elle n’imaginait pas qu’elle pourrait un jour devenir astrophysicienne : « C’était un domaine qui était non connu au Burkina ; et en plus, je n’avais jamais croisé un astrophysicien dans la vie réelle ! »
C’est seulement lors de sa licence en physique qu’elle prend l’option « astronomie ». En effet, il n’y a malheureusement pas encore de DEA en astrophysique au Burkina Faso. Avec cette option, elle commence à s’intéresser à la matière invisible, qui compose… 95 % de notre Univers. C’est alors qu’elle décide de faire une thèse de doctorat pour « aider à élucider ce mystère de l’Univers ». Pour Marie Korsaga, le fait d’être la première femme astrophysicienne d’Afrique de l’Ouest est « certes un privilège mais (…) pas flatteur, car cela montre qu’il y a encore beaucoup à faire dans la parité hommes-femmes dans le domaine scientifique. Si on prend le Burkina Faso, il y a, en plus de moi, trois autres docteurs en astrophysique. (…) Il faut donc amener les femmes à s’intéresser à la science et à l’astronomie en particulier. Comme je vois qu’il y a beaucoup de femmes dans la salle et qu’il reste encore beaucoup de mystères à élucider dans l’Univers, je vous invite à ne pas hésiter, et à venir nous aider (…) ! »
C’est seulement en 2006 qu’un programme d’astrophysique sera lancé au Burkina, a-t-elle poursuivi, et ce à la demande du ministère des Enseignements secondaire, supérieur et de la recherche scientifique. En 2007 est mis en place le programme d’Astrophysique au Laboratoire de Physique et de Chimie de l’Environnement (LPCE). Est alors créé un observatoire équipé d’un télescope d’enseignement.
D’autres projets dans le nord du pays devaient ou doivent voir le jour, comme la création d’un observatoire de recherche. Malheureusement la situation politique et sécuritaire du pays ne l’ont pas encore permis.
La planétologie et l’astrophysique comme moteurs de mobilisation de la jeune génération
David Baratoux, planétologue et membre de l’IRD (Institut de Recherche et de Développement) exerçant à l’Université de Cocody, a ensuite explicité le lien entre technologies spatiales et applications concrètes sur Terre :
« Vous avez ici le rover bien connu Curiosity, qui se trouve sur Mars, et qui tire avec un rayon laser sur les roches martiennes pour en déterminer la composition chimique. Cela s’appelle la technologie LIPS (Laser-Induced Breakdown Spectroscopy). Et pour envoyer un objet comme celui-là sur Mars, qui se trouve à plusieurs millions de kilomètres de la Terre, il a fallu miniaturiser une technologie (…) qui intervient aussi dans les instruments (…) portatifs de terrain, qui permettent aux géologues qui sont ici sur le terrain de savoir en quelques minutes si certains éléments sont présents dans les roches [dans le cadre de l’exploitation minière notamment]. (…) Et nous avons ici, en Côte d’Ivoire ces instruments que les doctorants utilisent à l’Université Houphouët-Boigny dans le cadre de leur recherche. »
David Baratoux a également présenté le travail de l’un de ses élèves utilisant les technologies issues du spatial. Et ce, à partir de travaux qu’il avait lui-même effectué pour établir la cartographie minéralogique de la surface de Mars, via les données spectrales visibles et proche infra-rouge – grâce à Omega, un instrument envoyé par la sonde Mars express. Cette même technologie est utilisée aujourd’hui au Niger pour lutter contre l’orpaillage clandestin. Elle permet de cartographier les rejets miniers liés à cet orpaillage, dont la cyanuration, qui fait des dégâts environnementaux importants, et ce afin d’aider les gouvernements à régulariser et encadrer cette activité économique. Pour lui : « Cette passerelle entre l’observation de la Terre et la planétologie est ce qui inspire notre vision pour préparer la jeunesse africaine à prendre part à l’aventure spatiale. »
Il a ainsi lancé de nombreuses initiatives sur le continent, dont certaines avec Maram Kaire –également présent à cette conférence –, comme en 2017 « l’initiative pour les sciences des planètes et de l’espace » auprès des jeunes, dont deux ateliers ont déjà eu lieu en Éthiopie et au Kenya. En 2018, il a participé au Sénégal à un événement d’importance mondiale : l’observation de l’occultation d’Arrokoth. L’occultation stellaire a été réalisée en préparation
d’une mission spatiale de la NASA. Une mission d’occultation stellaire consiste à observer grâce à un réseau un certain nombre de télescopes sur l’ensemble du territoire pour observer, en l’espace d’une seconde, le passage d’un astéroïde devant une étoile. Ainsi, en 2019, les experts de la NASA n’ayant pu faire le déplacement à cause de la crise, ont envoyé deux tonnes de matériel au Sénégal – soit des mois de préparation pour ne capter qu’une seule seconde. L’objectif : se doter des moyens de calculer les trajectoires des astéroïdes que veut visiter la NASA avec ses sondes et avoir des information sur la forme et la taille de ces astéroïdes !
Pour David Baratoux, il est fondamental que les jeunes chercheurs africains ne se cantonnent pas à rédiger des articles scientifiques : ils doivent également être présents sur le terrain pour le développement économique, social et culturel de leurs pays. C’est pourquoi il engage toujours ses étudiants à créer des associations pour partager leurs connaissances avec la jeunesse africaine, comme Cheikh Ahmadou Bamba Niang, chercheur et vice-président de l’Association des jeunes géologues et environnementalistes du Sénégal.
Ayant également fait le constat qu’il était difficile pour les astronomes amateurs d’avoir accès à l’information, il a lancé, avec la Société Astronomique de France (SAF) et l’Association Sénégalaise pour la Promotion de l’Astronomie (ASPA), co-fondée par Maram Kaire, le premier magazine de vulgarisation scientifique francophone : L’Astronomie Afrique (https://lastronomieafrique.com/).
Enfin M. Baratoux a présenté le projet AWA (Astronomy and planetary science in West Africa) qui a obtenu le soutien du CNRS français (Centre National de Recherche Scientifique) pour continuer les missions d’occultation sur le continent africain, l’étude des cratères d’impact météoritique, etc.
Pour lui la jeunesse africaine est prête et se passionne pour les études astronomiques et spatiales et toutes convergent vers un destin commun de l’humanité.
Maram Kaire : un astéroïde africain dans le firmament
Ancien conseiller technique au cabinet du ministre de l’Enseignement Supérieur, de la Recherche et de l’Innovation du Sénégal, chargé de la Promotion et de la vulgarisation de la culture scientifique, Il est de ces hommes dont la passion change le monde. A tel point qu’il est devenu le premier sénégalais dont le nom a été donné à un astéroïde ! Il s’agit de l’astéroïde 35462 1998 DW23. Il est également le coordonnateur des différentes missions d’occultation de la NASA au Sénégal et a reçu le grade de Chevalier dans l’Ordre National du Lion, plus haute distinction au Sénégal.
Sa passion pour l’astronomie depuis son enfance n’a d’égale que sa passion à partager ses connaissances auprès de la jeunesse de son pays. Il est ainsi le fondateur et président de l’ASPA (Association Sénégalaise pour la Promotion de l’Astronomie). Cheikh Anta Diop disait déjà en son temps : « Il faut s’armer de science jusqu’aux dents » !
Pour Maram Kaire : « Parler du spatial, de l’astronomie est tellement passionnant que [cela pourrait durer] des semaines, des mois sans s’arrêter ! » Après avoir présenté une carte du ciel et quelques notions d’astronomie, il a posé LA question : « Pourquoi je vous raconte tout ça d’ailleurs, alors que nous avons des problèmes d’électricité, nous avons des problèmes d’eau potable, nous avons des problèmes pour la saison des pluies, pour l’agriculture ? Je vous en parle car ce sont les mêmes questions qui reviennent. (…) Quand vous en parlerez autour de vous, vous aurez forcément des gens en face qui vous diront : « Mais pourquoi ? Pourquoi nous parler de la vie des étoiles, pourquoi nous parler de satellites alors que nous avons des problèmes beaucoup plus urgents ? La réponse est toute simple : le moment où les Nations Unies se sont réunies autour d’une table pour réfléchir à ce qui pourrait être les véritables sources de développement et qu’elles se sont fixé les Objectifs de Développement Durable (ODD), on se rend compte que sur les 17 points [des ODD], la plupart font un appel direct ou indirect aux sciences spatiales. »
Maram Kaire a donc donné quelques exemples de ces liens avec les ODD, en particulier dans la santé et l’éducation. Par exemple c’est grâce à la méthode mise au point pour répertorier l’infinie quantité galaxies que l’on a pu répertorier l’infinie quantité d’iris, et ainsi améliorer la prise en charge des problèmes d’yeux. Il a également pris l’exemple de la télémédecine, qui permet, grâce aux satellites, de faire des interventions médicales à distance. Ainsi, à partir de l’UFR des Sciences médicales de Cocody (lieu de la conférence) l’on est potentiellement capable de soigner des malades à Yamoussoukro (à 2h30 de route d’Abidjan), ou à Dakar au Sénégal. Sur le secteur de l’éducation, le Rwanda, en partenariat avec la société OneWeb, s’est pour sa part engagé dans la création d’une constellation de satellites pour donner accès à internet aux élèves situés dans les zones les plus reculées du pays. Enfin, il a présenté les nombreux domaines qui vont se développer grâce à la science et la technologie spatiale : météorologie et climat, surveillance maritime, cadastre, sécurité, etc.
Donnons-lui le mot de fin : « Quand vous faites de l’astronomie, du spatial, vous ouvrez les portes à la coopération. (…) Je veux vous dire que le développement de ce continent, le développement de la Côte d’Ivoire, de nos différents pays, passera inévitablement par les sciences et les technologies. On ne peut pas vous dire la vérité et vous faire croire autre chose. Les Indiens ont essayé de faire tomber la pluie en dansant, c’est peut être possible !
Mais nous n’étions pas là et ne pouvons donc le garantir. Ce que nous pouvons garantir c’est que si nous misons fortement sur les sciences et les technologies, nous arriverons à faire la même chose que ces géants que l’on prend comme référence : les États-Unis, la France, la Chine, le Japon, etc. Et c’est fortement possible, c’est le même volume de cerveau qui est là. Nous pouvons le faire. Et nous n’avons pas le choix, nous devons le faire. »
Sébastien Périmony / Maëlle Mercier