Les images fraîchement publiées par la collaboration internationale Lofar apportent un éclairage essentiel à notre compréhension de l’évolution de l’Univers. Grâce à une sensibilité et une résolution inédites, l’interféromètre radio surpasse de loin toutes les espérances en cartographiant la position des trous noirs supermassifs et les lieux de formation stellaire dans l’Univers primordial.
Explorer l’Univers par le prisme des ondes radio
Les fréquences radio émises par des sources astrophysiques couvrent une vaste gamme dans le spectre électromagnétique, de 10 MHz jusqu’à 300 GHz . Ainsi, presque tous les types d’astres et de processus physiques peuvent être observés à ces fréquences. De plus, contrairement aux autres plages d’énergie de la lumière (c.-à-d. l’infrarouge, l’ultraviolet, les rayons X et gamma), le domaine radio possède l’avantage d’être observable tant depuis le sol que depuis l’espace. En effet, communément désigné comme la « fenêtre radio », il fait partie – avec le visible – des rares rayonnements qui nous parviennent de l’Univers sans être absorbés par l’atmosphère terrestre.
Toutefois, même si des instruments au sol peuvent capter ces grandes longueurs d’onde (de l’ordre du centimètre jusqu’à la dizaine de mètres 2), la face radio de l’Univers demeure mal appréhendée. Les observations restent difficiles à entreprendre en raison de la présence d’une couche de plasma (c.-à-d. gaz ionisé) dans l’atmosphère, entre 50 km et 600 km depuis la surface de la Terre, appelée ionosphère, qui agit comme une lentille qui se déplace continuellement au-dessus des radiotélescopes. En la traversant, la propagation des rayons lumineux est perturbée et, par conséquent, la reconstruction du champ du ciel contemplé se voit dégradée. Pour tenir compte des turbulences ionosphériques, les scientifiques ont alors recours à des superordinateurs et des algorithmes pour annuler son influence dans les relevés de données. En pratique, plus l’Univers est sondé aux très basses fréquences (c.-à-d. aux alentours des 10 MHz), plus les fluctuations atmosphériques prennent de l’importance, rendant l’observation moins aisée puisque l’on s’approche de la zone de coupure ionosphérique.
L’interféromètre radio européen Lofar
Lofar – acronyme de Low Frequency Array – désigne le réseau d’antennes le plus étendu sur Terre, capable d’observer l’Univers en radio dans des bandes de fréquences ultra-basses (f < 100 MHz). Opérationnel depuis onze ans, ce projet international repose sur la technique de la synthèse d’ouverture par interférométrie. Le principe de fonctionnement consiste à répartir sur une vaste zone un ensemble d’antennes radio, puis de combiner les signaux reçus par chaque antenne pour afficher le bout de ciel étudié. De cette manière, les astronomes aboutissent à une résolution pour les images reconstituées équivalente à celle d’un unique et gigantesque radiotélescope, dont le diamètre vaudrait le périmètre couvert par l’agglomérat d’antennes (environ 1 500 km). Cette méthode remarquablement ingénieuse est également employée par la collaboration Event Horizon Telescope (EHT) qui s’emploie à capter l’ombre des trous noirs supermassifs.
En somme, ce télescope virtuel avec pointage numérique regroupe pas moins de cinquante-deux stations, ce qui représente plus de 70 000 antennes coordonnées et disséminées à travers neuf pays européens. Le cœur du réseau se localise aux Pays-Bas, avec trente-huit stations (fig. 1). Parmi les stations restantes, une se trouve en France, sur le site de Nançay de l’Observatoire de Paris-PSL. Ainsi, grâce à l’espace occupé au sol par Lofar, le degré de finesse des clichés obtenus entre 10 MHz et 240 MHz – intervalle du spectre électromagnétique couvert par l’instrument – est amélioré d’un facteur 10, constituant un véritable bond en avant pour la radioastronomie.
Avec pour ambition de révolutionner l’imagerie radio de l’hémisphère Nord (c.-à-d. en atteignant une résolution angulaire inférieure à 15″ 3), les astronomes travaillent à partir de deux types de relevés de données : d’une part LoTSS (Lofar Two-metre Sky Survey) qui sonde la voûte céleste entre 120 et 168 MHz en utilisant les antennes hautes fréquences HBA de Lofar, et d’autre part LoLSS (Lofar LBA Sky Survey) qui se concentre sur la gamme 42 MHz à 66 MHz à l’aide des antennes basses fréquences LBA.
Une carte ultra-sensible met au jour plus de 25 000 trous noirs supermassifs
Une équipe d’astronomes du radiotélescope Lofar a fourni le 17 février 2021, dans la revue Astronomy & Astrophysics, la carte la plus étendue et précise du ciel vu à une fréquence d’environ 50 MHz. Ce sont d’ailleurs les ondes radio les plus grandes en longueur d’onde jamais utilisées pour observer une zone aussi large du ciel, jumelée à un niveau de détails sans précédent. Une carte qui a probablement à la fois émerveillé et déstabilisé le grand public dans la mesure où les points lumineux ne correspondent en rien à des étoiles (fig. 2). En effet, ces boules de réactions thermonucléaires étant pratiquement invisibles dans la bande radio, les astres qui transparaissent ici s’avèrent – pour la majeure partie – être des trous noirs supermassifs localisés au centre de galaxies actives très éloignées (AGN). Cartographier 3 % de l’hémisphère Nord a ainsi suffi pour révéler 25247 corps célestes en les comparant au catalogue de sources FIRST (Becker et al.,1995).
Bien que ces quatre-vingt-quinze images acquises avec le relevé LoLSS ne soient que préliminaires, « elles sont toujours dix fois plus sensibles que les études précédentes disponibles à ces basses fréquences », assurent les auteurs de la publication. « C’est le résultat de nombreuses années de travail sur des données incroyablement difficiles. Nous avons dû inventer de nouvelles stratégies pour convertir les signaux radio en images du ciel, mais nous sommes fiers d’avoir ouvert cette nouvelle fenêtre sur notre Univers », déclare Francesco de Gasperin, l’auteur référent de l’article. Cette mosaïque devra néanmoins recevoir des corrections pour retirer les effets dépendant de la direction, notamment l’influence de l’ionosphère repérable par la présence d’artefacts autour des points blancs. « Dans les deux prochaines années, nous prévoyons de traiter environ deux mille heures d’observation pour cartographier l’ensemble du ciel boréal. L’analyse de ces données pourrait révéler des phénomènes encore inconnus, par exemple nous pourrions voir l’émission de filaments cosmiques qui suivent la distribution de la matière dans l’Univers à grande échelle », confie avec enthousiasme Gianfranco Brunetti, astrophysicien coordinateur du consortium italien Lofar à l’Institut national d’astrophysique de Bologne (Inaf).
Un voile se lève sur la formation stellaire des jeunes galaxies
Le 7 avril 2021, une seconde parution dans la revue Astronomy & Astrophysics a constitué un tournant pour l’observation de la sphère céleste en multi-longueurs d’onde. Lofar y a présenté les résultats de trois régions particulières – Lockman Hole, Boötes et Elais-N –, issues de son premier relevé LoTSS en champ profond au voisinage de 150 MHz. « Les parties du ciel que nous avons choisies sont les mieux étudiées du ciel boréal », explique Philip Best, le responsable de l’étude, dans le communiqué de presse d’Astron (Institut néerlandais de radioastronomie). De ce fait, les chercheurs ont rassemblé des données optiques, submillimétriques, infrarouges proche et lointain pour les combiner sur les images LoTSS, afin d’interpréter le plus objectivement possible ce qui apparaît en radio.
L’initiative a permis de détecter plus de 85 000 radiosources, dont la faible lueur radio des étoiles massives qui explosent en supernovae au terme de leur vie, et ce au sein de dizaines de milliers de galaxies, jusqu’aux régions les plus reculées de l’Univers. « Quand une galaxie forme des étoiles, plein d’étoiles explosent en même temps, ce qui accélère les particules à très haute énergie, et les galaxies commencent à rayonner dans cette gamme d’ondes radio qu’observe Lofar », met en perspective Cyril Tasse, l’un
des auteurs de la publication (fig. 3). Il faut savoir qu’« autour de 3 milliards d’années après le Big Bang, c’est vraiment le feu d’artifice, avec un pic de formation stellaire et d’activité des trous noirs dans les jeunes galaxies », conclut l’astronome de l’Observatoire de Paris-PSL à l’Agence France-Presse.
« La formation des étoiles est généralement enveloppée de poussières, qui obscurcissent notre vue lorsque nous regardons avec des télescopes optiques. Mais les ondes radio pénètrent la poussière, si bien qu’avec Lofar, nous obtenons une image complète de leur formation stellaire », complète Isabella Prandoni, astrophysicienne à l’Inaf. Par conséquent, une nouvelle relation est sur le point de s’établir entre l’émission radio d’une galaxie et la vitesse à laquelle elle forme de nouvelles étoiles dans les jeunes années de l’Univers. « Et ce n’est que le début, ajoute Marco Bondi. La communauté italienne analyse les observations d’une autre région du ciel très intéressante, appelée Euclid Deep Field North. Ces données feront partie de la prochaine publication de données. »
Margaux Abello Présidente du Bureau des étudiants de l’Observatoire de Paris-PSL
I James J. CONDON et SCOTT m. RANSOM, Essential Radio Astronomy, Princeton university Press, 2016.
I Margaux Abello, « un trou noir surpris en train d’expulser de la matière, à plus de 99 % de la vitesse de la lumière ! », Journal Alma Mater, 2020.
I obs-nancay.fr/lofar/
I F. De Gasperin et al., « The lOFAR lBA Sky Survey – i. Survey description and preliminary data release », Astronomy & Astrophysics 648, A104, 2021.
I J. Sabater et al., « The lOFAR Two-meter Sky Survey: Deep Fields Data Release 1 – ii. The elAiS-N1 lOFAR deep field », Astronomy & Astrophysics 648, A2, 2021.