LE MAGAZINE DES SCIENCES DE L’UNIVERS EN AFRIQUE

Deux récents articles d’une équipe internationale coordonnée par des chercheurs de l’Observatoire de Paris permettent de caractériser la température et le profil vertical de l’atmosphère de Jupiter dans la région polaire Sud, grâce aux mesures du JWST dans l’infrarouge moyen.

1. Aurore polaire sur Jupiter observée en ultraviolet par le télescope spatial Hubble. L’ovale auroral est centré autour du pôle magnétique Nord. Les taches claires sont les empreintes sur la planète des lignes de champ magnétique passant par les satellites galiléens. On voit l’empreinte de Io à gauche, Europe en bas à droite et Ganymède au centre. (Crédit : NASA/ESA)

 

Le champ magnétique de Jupiter, le plus intense parmi les planètes du Système solaire, est connu depuis les années 1950, lorsque les astronomes découvrirent que la planète était une source très puissante dans le domaine radio. Vingt ans plus tard, la sonde spatiale Pioneer 10 a pu l’observer de près et mettre en évidence sa structure dipolaire. L’une des manifestations de ce champ magnétique est la présence d’aurores à proximité des deux pôles de la planète ; celles-ci résultent de l’interaction des particules énergétiques associées au champ magnétique avec les atomes de la très haute atmosphère jovienne, provoquant des émissions lumineuses, tout comme sur la Terre. À la différence des aurores terrestres, dont les apparitions dépendent de nombreux paramètres, les aurores de Jupiter sont permanentes. Cependant, leur intensité est variable. Elles se présentent comme des ovales entourant les pôles magnétiques, auxquels s’ajoutent des points isolés correspondant aux empreintes des lignes de champ magnétique connectant les satellites Io, Europe et Ganymède à la planète (fig. 1). Les électrons pénétrant dans l’ionosphère jovienne y apportent une énergie considérable, ce qui a pour effet de perturber la structure de l’atmosphère dans son profil de température comme dans sa composition chimique.

2. Profils de température dans la stratosphère de Jupiter à l’extérieur de l’ovale auroral (à gauche) et à l’intérieur de l’ovale (à droite). Les deux profils finaux (en rouge, traits pleins et pointillés) sont obtenus à partir de deux profils initiaux (en noir, traits pleins et pointillés). On voit qu’à l’intérieur de l’ovale, le profil thermique présente deux maxima, à 1 mbar et à 0,01 mbar. (Crédit : Rodriguez-Ovalle et al., 2004a)

 

Les émissions aurorales se produisent dans tout le domaine du spectre électromagnétique, depuis les rayons X jusqu’aux ondes radio.

Avant la mise en service du JWST, les aurores de Jupiter avaient principalement été observées dans l’ultraviolet par le HST, et, localement, par les instruments UVS et JIRAM de la sonde Juno lors de ses survols rapprochés. Le 24 décembre 2022, le spectro-imageur MIRI du JWST a observé la zone polaire Sud de Jupiter dans l’infrarouge moyen, entre 4,8 et 29 mm. Ce domaine spectral permet de mesurer l’énergie thermique de la planète et donc sa température, et aussi d’étudier les profils verticaux des constituants atmosphériques dans la région polaire. Deux articles, publiés en 2024 par une équipe internationale coordonnée par des chercheurs de l’Observatoire de Paris, présentent les résultats de ce programme.

Dans le premier de ces articles [1], publié dans le Journal of Geophysical Research, les auteurs analysent le profil vertical de température dans la zone polaire Sud, ainsi que son évolution en fonction de la latitude. Ils ont ainsi pu mesurer l’effet de l’aurore sur la structure de l’atmosphère jovienne. Ils ont notamment mis en évidence une augmentation de la température par rapport aux régions voisines, avec deux maxima distincts à des niveaux de pression de 0,01 mbar et 1 mbar (fig. 2). À plus basse altitude, caractérisée par une pression atmosphérique de 10 mbar, une région froide est observée à une latitude de 65° S.

3. Projection depuis le pôle Sud de l’altitude de l’homopause. Les échelles d’altitude et de pression sont indiquées à droite. Les ellipses (en noir) indiquent les contours de l’ovale auroral. (Crédit : Rodriguez-Ovalle et al., 2004a)

 

La capacité des gaz à se mélanger dans l’atmosphère de Jupiter est contrôlée par une couche appelée homopause, dont l’altitude est elle-même influencée par les aurores. L’homopause marque la limite entre l’homosphère, en dessous, dans laquelle les constituants atmosphériques sont mélangés, et l’hétérosphère, au-dessus, dans laquelle les gaz se séparent, les plus lourds restant à proximité de l’homopause tandis que les plus légers s’élèvent. En dehors de la région polaire, l’homopause sur Jupiter se situe à une pression d’environ 1 mbar (fig. 3). À l’intérieur de l’ovale auroral, l’homopause est située à une altitude de 590 km au-dessus du niveau de référence situé à une pression de 1 bar. Par comparaison, cette altitude est de 350 km en dehors des régions aurorales (fig. 3). Les auteurs attribuent l’élévation de l’homopause et l’élévation de température à 0,01 mbar à l’excès d’énergie déposée par les particules énergétiques dans la zone polaire. Le maximum de température observé à 1 mbar pourrait quant à lui être dû au chauffage adiabatique résultant du transfert vers le bas de l’énergie aurorale. Le refroidissement observé à 10 mbar, à la latitude de 65° S, pourrait résulter du rayonnement des aérosols qui évacuent ainsi une partie de l’énergie aurorale.

Les profils de température sont déterminés à partir de l’analyse d’une forte bande du méthane, CH4, dont l’abondance est connue et constante en altitude dans l’atmosphère jusqu’à l’homopause. Une fois le profil de température connu, les profils verticaux des hydrocarbures C2H2 et C2H6 (qui varient avec l’altitude) peuvent être déterminés à partir de leurs émissions spectrales. L’étude montre que les deux hydrocarbures sont plus abondants dans la région polaire qu’à plus basse latitude.

4. En haut : profils méridionaux de l’abondance du benzène, à partir de trois profils choisis a priori, avec un maximum d’abondance à 0,05 mbar (en bleu), 0,5 mbar (en noir) et 5 mbar (en rouge). Les spectres ne permettent pas de déterminer à quelle altitude le benzène est présent mais, quelle que soit l’hypothèse de départ, l’abondance du benzène diminue d’un facteur 10 entre les latitudes 80° S et 50° S. En bas : profils méridionaux de l’épaisseur optique des aérosols, mesurée à trois longueurs d’onde (14,3 m en jaune, 13,3 m en vert et 6,9 m en bleu). Les flèches verticales indiquent des limites supérieures. On voit que le benzène et les aérosols présentent la même distribution en latitude, ce qui suggère que le benzène intervient dans la formation des aérosols. (Crédit : Rodriguez-Ovalle et al., 2024b)

 

Dans le deuxième article [2], publié dans Astronomy and Astrophysics, les auteurs s’intéressent à un hydrocarbure particulier, le benzène, C6H6. Cet hydrocarbure a déjà été détecté dans l’atmosphère de Jupiter, avec une abondance plus élevée à proximité des régions polaires. Les observations du JWST ont permis de confirmer et d’affiner ce résultat. Dans les régions polaires, au-delà d’une latitude de 60° S, le benzène est dix fois plus abondant qu’à moyenne latitude. De plus, l’abondance des aérosols augmente aussi vers le pôle Sud, en suivant la même évolution que le benzène (fig. 4). Les auteurs en déduisent que les particules énergétiques présentes dans les zones aurorales augmentent l’abondance des hydrocarbures, mais aussi des aérosols dans la stratosphère de Jupiter. Ces aérosols sont vraisemblablement situés autour du niveau de pression de 20 mbar ; de plus, leurs signatures spectrales indiquent la présence d’hydrocarbures saturés et non saturés. Les modèles photochimiques suggèrent que ces aérosols proviennent du benzène par la formation d’hydrocarbures polycycliques aromatiques (PAH) ; des réactions similaires ont été observées sur Saturne et Titan.

Thérèse Encrenaz, Observatoire de Paris-PSL

 

  1. Rodriguez-Ovalle P. et al., « Temperature and composition disturbances in the southern auroral region of jupiter revealed by JWST/MIRI », Journal of Geophysical Research: Planets, vol. 129, 10, article id. e2024JE008415, 2024a.
  2. Rodriguez-Ovalle P. et al., « Stratospheric aerosols and C6H6 in Jupiter’s south polar region from JWST/MIRI observations », Astron. Astrophys., 691, A51, 2024b

Publié dans le magazine l’Astronomie

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