L’activité solaire passe d’une phase calme à une phase active, et ainsi de suite, et ce cycle dure environ onze ans. Les événements les plus spectaculaires ont généralement lieu autour du maximum d’activité solaire. L’observation du Soleil lors de sa période calme – comme actuellement – apporte cependant des informations cruciales sur les propriétés de notre étoile.
Par sa proximité, le Soleil nous permet d’étudier en détail les processus magnétiques et dynamiques sur des échelles spatiales et temporelles impossibles à reproduire en laboratoire. Le Soleil possède un cycle d’activité de 11 ans (voir l’Astronomie no 143, novembre 2020, p. 18), caractérisé par une alternance de périodes calmes (sans structure remarquable) et de périodes actives avec le développement de régions magnétiques telles que les taches*, les facules* et les filaments* (fig. 1). Les minima solaires sont plus ou moins marqués et plus ou moins longs (quelques années). La descente vers le minimum est douce (7 ans), tandis que la remontée est plus rapide (4 ans). Le dernier minimum date de fin 2019-début 2020 ; le prochain maximum est attendu autour de 2024-2025. Les minima favorisent l’observation du Soleil calme, c’est-à-dire des zones non perturbées par la présence de régions actives et de filaments ; le champ magnétique général du Soleil ressemble alors à celui d’un aimant. Ces périodes sont propices à l’observation des phénomènes qui couvrent globalement la surface, comme la granulation*, le réseau magnétique* associé à la supergranulation*, ou encore les micro-boucles et micro-éruptions identifiées récemment par la sonde Solar Orbiter (voir l’Astronomie no 142, octobre 2020, p. 18). Nous allons ici présenter un « focus » sur les différentes échelles du Soleil calme et sur le réseau magnétique.
La granulation
La granulation (initialement appelée « grains de riz » par les premiers observateurs, fig. 2) est une structure qui constitue la signature de la zone convective sous-jacente du Soleil, inaccessible à l’observation (fig. 1). La granulation est uniformément répartie sur la photosphère, la surface visible (une fine couche de 500 km d’épaisseur en regard des 696 000 km du rayon de l’étoile). Il s’agit de petites cellules convectives, d’une taille moyenne de 1 000 km (la France), à l’intérieur desquelles la matière monte à la vitesse de 0,5 km/s à 1 km/s, modulée par des oscillations de cinq minutes. Les bords des cellules sont plus sombres, car plus froids (température de 5 500 K au lieu de 5 800 K), la matière y descend ; on appelle ces espaces « intergranules ». Il y a environ 10 millions de granules sur la surface du Soleil. Elle est donc en perpétuel renouvellement, puisque la durée de vie de chaque granule est seulement de 10 minutes. Cette évolution se révèle au télescope (si son pouvoir séparateur est meilleur que 1 seconde d’arc ou 730 km) sous la forme d’un « bouillonnement » lent et permanent. Un granule qui disparaît est remplacé par un autre ; certains explosent et se fragmentent en plusieurs granules.
La granulation apparaît dans le rayonnement continu visible, de manière plus contrastée vers le bleu du spectre. Elle s’évanouit dans les cœurs de raies, qui sont formés au-dessus, dans la haute photosphère ou la chromosphère.
La granulation semble évoluer légèrement avec le cycle solaire. En effet, les granules, dont la surface varie de 2 %, montrent une variation inverse de leur nombre. Cette double variation engendre peut-être une fluctuation de luminosité résiduelle, mais elle est indécelable car négligeable devant la variation d’irradiance* produite au cours du cycle par le jeu des taches et des facules.
Premières observations de la granulation
Le père Angelo Secchi (1818-1878), dans son ouvrage Le Soleil, paru en 1875, publie un dessin de la granulation (fig. 3) faisant référence aux observations antérieures de James Nasmyth (1861). Cependant, la granulation aurait été remarquée à la même époque par d’autres astronomes et même aperçue dès 1769 lors d’un transit de Vénus observé par des Mexicains. L’une des premières collections photographiques de la granulation (fig. 4) remonte à la fondation de l’observatoire de Meudon (1876), lorsque Jules Janssen (1824-1907) organise le service d’imagerie de la surface solaire, avant de se lancer plus tard dans la spectroscopie avec Henri Deslandres (voir l’Astronomie no 143, novembre 2020, p. 38). Au XXe siècle, la création de la lunette tourelle du Pic du Midi (1959) par Jean Rösch (1915-1999) a permis aux chercheurs français d’être en avance pendant trente ans.
Comment observe-t-on la granulation au XXIe siècle ?
Dès 2006, le télescope spatial Hinode (Jaxa/Nasa) a révolutionné l’observation de la granulation grâce à son pouvoir séparateur inédit et constant de 150 km dans le violet, fournissant de très longues séquences homogènes (de 24 à 48 heures) impossibles à obtenir au sol. Auparavant, cette résolution n’avait pu être atteinte que rarement, sur de courtes durées, à la lunette tourelle du Pic du Midi, à la tour solaire de Sacramento Peak (É.-U.), au télescope suédois de 1 m à La Palma (Canaries). Le télescope de 1,60 m de l’observatoire solaire de Big Bear (É.-U.) descend à 80 km grâce à l’optique adaptative*. D’autres instruments au sol sont devenus capables d’égaler Hinode grâce à des techniques logicielles novatrices. Par exemple, le télescope Themis du CNRS à Tenerife (Canaries, fig. 5) fournit depuis 2019 de bonnes images en utilisant des algorithmes de restauration ; ceux-ci sont appliqués à des rafales acquises à 30 images/s (fig. 6) grâce à la nouvelle génération de caméras SCMOS et aux temps de pose brefs (moins de 1 milliseconde) qui figent la turbulence.
Les simulations numériques 3D sur supercalculateurs viennent en complément ; elles sont précieuses pour comprendre les mécanismes physiques, car elles permettent de confronter les observations à la théorie. La figure 7 présente un résultat basé sur la résolution numérique des équations de la magnétohydrodynamique (MHD) qui combine l’hydrodynamique (évolution des densités de matière et des mouvements), l’électromagnétisme (champs magnétiques) et le transfert du rayonnement dans un espace à trois dimensions. On arrive aujourd’hui à reproduire correctement beaucoup d’observations, mais aussi à effectuer des prédictions que l’on teste par de nouvelles observations, qui à leur tour enrichissent les modèles. Les progrès dépendent du maillage de calcul, donc de la puissance des ordinateurs.
La supergranulation
La résolution du satellite Solar Dynamics Observatory (SDO), mis en service en 2010, est modeste (1 seconde, soit 730 km), mais ce satellite a l’avantage d’observer le disque solaire en totalité avec un pas temporel de 45 s. L’imageur magnétique héliosismique (HMI) enregistre la raie du fer neutre Fe I à 617,3 nm avec six points spectraux dans plusieurs états de polarisation, ce qui lui permet de dévoiler le réseau magnétique de la photosphère (fig. 8). Ce réseau est formé de cellules plus ou moins fermées aux frontières desquelles se concentre le champ magnétique. La taille de ces cellules est 30 fois plus grande que la granulation (30 000 km). Elles se nomment « supergranules » et sont visibles depuis longtemps sur les images du Soleil dans la raie K du calcium ionisé Ca II (spectrohéliogrammes de Meudon à 393,4 nm de longueur d’onde, voir http://bass2000.obspm.fr). Cependant, leur nature est mal comprise. La supergranulation est évolutive, sa durée de vie est d’un à deux jours ; elle change donc cent fois plus lentement que la granulation.
L’instrument HMI permet d’évaluer les mouvements horizontaux de surface. La figure 9 dévoile l’amplitude moyenne de ces mouvements intégrés pendant 6 heures. On y distingue des cellules en anneau, d’une taille de 25 000 km ; ce sont des mouvements d’expansion qui forment les supergranules associés au réseau magnétique. Ces mouvements ont pu être analysés avec plus de détails grâce aux données fournies par Hinode.
Granules explosifs, familles et formation du réseau magnétique
On a compris à l’aide des observations Hinode et des simulations numériques que les granules n’évoluent pas indépendamment de leurs proches voisins, mais se groupent en ensembles appelés « familles » de granules (fig. 10) formant une échelle intermédiaire appelée « mésogranulation », d’environ 5 000 km. Chaque famille a pour origine un granule explosif, qui éclate et se segmente en chaîne en formant d’autres granules explosifs (fig. 11). Les familles croissent en taille pour réunir au plus une centaine de granules, puis disparaissent au bout de quelques heures, laissant la place à d’autres familles. On soupçonnait l’existence de ces cellules intercalées entre granulation et supergranulation (mais non directement visibles) sans comprendre leur nature. La découverte des familles apporte une explication : la mésogranulation serait composée de granules de même origine.
On a constaté que les familles ont des mouvements d’expansion horizontale (fig. 12) ; ceux-ci contribuent à transporter les champs magnétiques pour former le réseau qui se concentre aux frontières des supergranules. Comme chaque supergranule est en interaction avec ses voisins, les mouvements d’expansion deviennent convergents aux frontières. On tient là un mécanisme plausible expliquant la formation du réseau magnétique, qui intriguait depuis longtemps.
Les instruments de la décennie 2020-2030
L’étude de la granulation solaire, et en particulier des tubes magnétiques concentrés dans les intergranules (non résolus actuellement), est d’importance majeure pour comprendre le chauffage et la remontée en température de la couronne à deux millions de degrés. Cela nécessite des observations à très haute résolution spatiale. Jusqu’ici, les tubes magnétiques n’ont jamais été résolus spatialement tellement ils sont minces. La limite d’Hinode est de 150 km. Les meilleures images au sol ont été obtenues par le nouvel instrument de Big Bear avec 80 km de pouvoir séparateur.
Implanté sur l’île de Maui (Hawaï, É.-U.), le DKIST – pour Daniel K. Inouye Solar Telescope –, nous fait entrer dans une nouvelle ère, celle de la très haute résolution (fig. 13). Son miroir de 4,20 m, lors de sa première lumière fin 2019, a fourni des détails jamais vus de 30 km dans le proche infrarouge (fig. 14), voire de 20 km dans le bleu. Cet énorme bond en avant, autorisé par une optique adaptative performante, est susceptible de révolutionner notre compréhension du chauffage coronal au cours de la décennie présente.
Le projet de Télescope solaire européen (EST, http://www.est-east.eu/) est le concurrent (fig. 15) du DKIST. Bien que très avancé en ce qui concerne les études coordonnées par l’Institut d’astrophysique des Canaries, il est encore en recherche de montage financier, de sorte qu’il ne sera pas actif avant 2026 ou 2028, sur l’île de La Palma. L’enjeu de l’EST est d’extrême importance, car ce serait le premier télescope solaire construit à l’échelle européenne. Ce grand équipement est essentiel pour rester à la pointe des recherches scientifiques et technologiques en physique solaire.
Il n’existe aucun projet spatial permettant de concurrencer DKIST et EST sur le terrain de la haute résolution angulaire ; en effet, les progrès sont liés à l’augmentation de la taille des miroirs, rendant leur installation en orbite impossible, car trop coûteuse.
Conclusion : les granules explosifs, clef du Soleil calme ?
Les interactions entre les champs magnétiques et la matière, sur des échelles de temps et d’espace non testables en laboratoire, sont à l’œuvre sur le Soleil. Les taches constituent la manifestation la plus évidente du magnétisme. L’autre composante, moins connue mais dont l’importance physique est prépondérante (10 000 fois plus de flux magnétique !), est le réseau magnétique réparti sur l’ensemble du Soleil. Cependant, nous ne savons pas bien comment il se forme. La dynamique des familles de granules, découvertes récemment, est une piste séduisante. Elle pourrait expliquer le transport des champs magnétiques et leur concentration, constituant des structures plus grandes, les supergranules (dont l’origine est débattue depuis cinquante ans). Leur dimension moyenne (30 000 km) est encore une véritable énigme ! Ainsi, la formation des supergranules (et du réseau magnétique associé) pourrait être un phénomène dynamique « piloté » par les granules explosifs, sur lesquels les recherches sont en cours.
par Thierry ROUDIER | Irap, observatoire Midi-Pyrénées et Jean-Marie MALHERBE | Lesia, Observatoire de Paris
Glossaire
Facule : région brillante autour d’une tache solaire, plus chaude que son environnement.
Filament : structure magnétique en forme de « hamac » s’élevant dans la couronne solaire, composée d’un plasma plus dense et froid que le milieu ambiant. La température de la matière du filament avoisine celle de la chromosphère (8 000 K), tandis que la température de la couronne solaire atteint les deux millions de degrés.
Granulation – granule – intergranule : structure convective élémentaire (1 000 km) recouvrant uniformément la photosphère solaire et de courte durée de vie (10 minutes).
Irradiance : puissance moyenne reçue du Soleil au niveau de l’orbite terrestre par unité de surface.
Mésogranulation – mésogranule : groupes de granules de dimension intermédiaire entre granulation et supergranulation.
Optique adaptative : dans un télescope, système basé sur un miroir déformable ayant pour but de compenser la turbulence atmosphérique, qui brouille les images.
Pore : petite tache correspondant à l’émergence de champs magnétiques, pouvant précéder l’apparition d’un centre actif complexe.
Réseau photosphérique : ensemble de champs magnétiques faibles associés à la supergranulation.
Supergranulation – supergranule : cellules de 30 000 km recouvrant la chromosphère solaire et dont l’origine est débattue (durée de vie 48 heures).
Tache solaire : région sombre de la photosphère marquée par une température inférieure à celle de son environnement. Une tache solaire est associée à un champ magnétique particulièrement intense.
Tube magnétique : mince « tuyau » rempli de matière isolée par un champ magnétique intense, fréquemment rencontré dans les espaces intergranulaires (à la limite du pouvoir de résolution des grands télescopes).